Croyance et reliance. Le cas du New Age

Center for the New Age

Source Flickr

Les sociologies de pure rationalité, comme celles du calcul individualiste, sont défaillantes du fait de leur insuffisante attention au désir et aux désirs, à l’imaginaire et à l’intuition, aux passions et à leur violence, aux attentes et à leur insatisfaction. En bref, à tous ces éléments qui peuvent entrer en composition dans la croyance

G. Balandier, Les retours et détours du sacré

Un ouvrage récent[1] consacré aux répercussions médiatiques des événements liés à l’Ordre du Temple Solaire (OTS) fut l’occasion pour un sociologue, Roland Campiche, d’intervenir dans le débat public relatif aux sectes. Il y fit non seulement état de ses réactions face au traitement médiatique du drame qui coûta la vie à 53 personnes en octobre 1994 (le livre a été publié avant le second massacre-suicide dans le Vercors), mais développa également une série de réflexions sur la religion en général et sur la place du religieux dans les sociétés modernes en particulier.

Le « transit vers Sirius » d’une partie des membres de l’OTS (un ordre post-Nouvel Age selon Campiche) et l’émotion considérable généré par cet événement incitent sans doute les sociologues des religions à ne pas demeurer en retrait sur ce même astre lointain. Comme le souligne à plusieurs reprises Roland Campiche, les événements récents qui se sont succédés nous ont fait découvrir que « le religieux, cet oublié revenu de la société moderne, peut être porteur de violence ».

Invoquer les ténèbres de l’irrationnel, la volonté diabolique de manipulation, les trafics divers sous masque de religion ou la psychose paranoïaque d’un gourou délirant peut sans doute préserver le « bon »  religieux d’une dangereuse contamination, conforter une vision très rationaliste du monde. Mais cet argumentaire (si tant est…) n’explique en rien comment, dans certaines conditions, des individus « normaux » peuvent se laisser entraîner dans des groupes qui les conduisent à la servitude et parfois à la mort. La représentation commune de l’adepte psychologiquement fragile, voire au bord de la débilité mentale, manipulé par des individus pervers usant de techniques psychologiques éprouvée est par trop réductrice. Les rapports officiels qui se succèdent sur le thème des groupes sectaires[2], peu suspects de complaisance et de « distanciation sociologique », battent en brèche cette représentation commode et sans doute rassurante.

Les lignes qui précèdent ne signifient nullement que la mouvance multiforme du New Age soit ici assimilée à une secte dangereuse (même si elle peut y conduire, mais cela vaut pour d’autres religions). Elle ont pour objectif de justifier l’usage qui a été fait de quelques références freudiennes dans la problématisation qui va suivre. L’expérience religieuse comporte une mise en jeu de l’intimité du sujet, de ses désirs les plus profonds, de ce lieu secret qui échappe à la conscience et que Maître Eckhart appelait la « fine pointe de l’âme ». Ce constat nous a rendu sensible aux puissants mécanismes à l’oeuvre et aux dangers qui peuvent y être liés. La perception commune qu’a l’être humain d’être divisé, inadéquat à lui-même, toujours en quête d’un objet insaisissable dont il éprouve parfois la lancinante proximité, lui font espérer, « contre toute raison », un retour à l’unité perdue, un rétablissement de la transparence voilée. L’exacerbation de cette espérance au sein d’un groupe religieux vivant dans l’imminence d’un dévoilement apocalyptique peut conduire à forcer le destin. Et amener ses adeptes vers un lieu, où, selon toute vraisemblance, la division du sujet est effectivement abolie.

Notes

[1] R. Campiche et Cyril Dépraz, Quand les sectes affolent. Ordre du Temple Solaire, médias et fin de millénaire, 1995.

[2] Voir, par exemple, le Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale Française, Les sectes en France, Documents d’information de l’Assemblée Nationale, 1995 (pp. 37-45).

Bernard De Backer, 1996

Téléchargez le fichier pdf du mémoire : Croyance et reliance

J’ai fait un exposé issus de ces recherches dans le cadre du « Groupe des sciences sociales des religions » à l’UCL en octobre 1995. Il était intitulé Un nuage dans le ciel de la haute modernité. Le sens du titre est expliqué en début d’exposé : Un nuage dans le ciel de la Haute modernité

Ce mémoire de DEA en sociologie a débouché ensuite sur un projet de doctorat, après avoir obtenu la mention « la plus grande distinction ». Le voici : Projet de doctorat

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