Comme nous le savons, mais l’oublions souvent au profit d’un universalisme européen négligeant sa contingence provinciale, l’humanité n’est pas un club anglais ou une collection d’individus tombés du ciel. Les hommes et les femmes ne sont pas répartis au hasard et associés librement par un contrat social. L’espèce humaine est composée de collectifs concrets — doués de mémoire, de croyance et d’imaginaire — inscrits dans un espace et un voisinage, fruits de métissages et de heurts, héritiers et producteurs d’une histoire. Le voyageur peut s’en trouver d’autant plus instruit qu’il sera dérouté.
Les voyages, en effet, pour peu qu’ils nous confrontent de manière intense à d’autres cultures, peuvent faire vaciller les routines les plus solides qui constituent notre ancrage cognitif et émotionnel. Expérience qui n’est pas sans risques. Lorsque la route déroute, elle peut aussi ouvrir les yeux. Les assurances les plus solidement ancrées se trouvent progressivement déboîtées par le jeu qui s’introduit dans leurs fondements. Une fenêtre, au sens balistique du terme, permet alors d’apercevoir le caractère relatif d’une série de traits que l’on supposait universels. Le modelage des corps et des esprits par l’incorporation de normes sociales apparaît dès lors d’une profondeur insoupçonnée.
Ce samizdat vise à arpenter ces temporalités, ces cultures et ces géographies fragmentées à l’heure d’une globalisation accélérée produisant des effets inattendus ; à analyser les accidents, les conflits et les confluences qui en procèdent. Vous y trouverez des articles en lien avec l’actualité et d’autres analyses ou récits en écho : recensions critiques de livres, synthèse de recherches sociologiques et disciplines connexes, récits de voyage. J’y ai rassemblé des textes couvrant une période de 1992 à aujourd’hui.
Corridor de Suwalki entre l’enclave de Kalingrad et le Belarus
(photographie de l’auteur, 2016)
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Ceci n’est donc pas un blog, mais une slow revue en ligne (164 articles et 2 récits de fiction à ce jour ; davantage en comptant les renvois vers des articles publiés ailleurs). Les commentaires sont les bienvenus. Ils sont modérés, notamment pour éviter les spams.
Bonne visite, c’est gratuit et on s’en va quand on veut.
Mode d’emploi pour ne pas être dérouté
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- Les images figurant sur le bandeau sont des détails de photographies de l’auteur, sauf exception mentionnée sur la page d’accueil.
L’image du bandeau est un portrait de Poutine, composé avec des photos de ses destructions en Ukraine (merci à Igor Zhuk de Kyiv). L’image alternative est une reproduction du Guernica de Picasso aux couleurs ukrainiennes. Elles devraient rester aussi longtemps que l’invasion criminelle russe durera. Avec, de temps à autre, un moment de respiration ou une autre image liée à l’Ukraine (comme celle de paysans mourant de faim à Kharkiv, photographie d’Alexandre Wienerberger)

P.-S. Je ne fais pas de renvois vers des sites « amis », mais cette règle souffre d’un exception notable pour Le Grand Continent, une revue en ligne européenne en plusieurs langues, remarquable. Une véritable « revue nouvelle », selon leurs mots. On peut y joindre The conversation, « L’expertise universitaire, l’exigence journalistique », selon ses propres termes. Tout un programme ! J’y ajoute Memorial France qui fait un puissant travail d’information sur les répressions des droits humains en Russie et dans l’ancien « bloc de l’Est », passées et présentes, en lien avec Memorial International. Voir le film Nous sommes Memorial d’Alexandra Dalsbaek, projeté à Paris le 8 décembre 2021 lors de la soirée de Memorial France.
Je suis membre de Memorial France et du Groupe du 24 février. Tribune publié le 28 février 2023 dans Le Libre Belgique : Conflit en Ukraine: l’urgence de mesurer l’urgence et dans Le Courrier d’Europe centrale.

Pour le reste, je puise mes informations dans le savoir accumulé par des années de terrain, associé à mes recherches dans de nombreux domaines, ainsi que les livres (mentionnés dans les sources des articles), les revues et les grands quotidiens européens. Sans oublier les voyages de diverses natures.
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Succession des articles
La succession est en principe chronologique, mais cet ordre peut être modifié en fonction de l’actualité ou du souhait de valoriser un article ancien, souvent en rapport avec l’actualité.
Liens internet
Les textes soulignés sont des liens internes ou externes qu’il suffit d’activer en cliquant dessus.
Actualité, et pour longtemps
La Chine sera sans doute « l’affaire du siècle », notamment pour les démocraties et la géopolitique mondiale, dans le contexte d’une perte d’influence du modèle démocratique et de la « décolonisation culturelle » qui en est la cause, après le transfert de la techno-science occidentale (et ses effets militaires). Cela sans la dynamique symbolique et politique qui a permis son développement, ce que l’on a coutume d’appeler « les Lumières ». Mais contrairement à ce que l’on entend souvent, ce qui est en jeu fondamentalement, ce ne sont pas tant « les Chinois » ou « la Chine », que l’idéologie marxiste-léniniste (russo-européenne, elle) associée au modèle impérial des Qin et à la théorie des Légistes, auxquels Mao et Xi Jinping se réfèrent. Quand les Chinois s’éveilleront, la Chine communiste impériale tremblera. Mais auront-ils le temps et la volonté de sortir du « rêve chinois » ? Par ailleurs, cette menace ne peut être séparée de l’évolution de plus en plus autoritaire du régime russe et de la question ukrainienne, comme l’a rappelé Pierre Haski dans Géopolitique sur France Inter ce 16 décembre 2021. « Chine-Russie, une entente au sommet pour défier l’ordre occidental« . L’invasion d’une partie de l’Ukraine, notamment le couloir qui sépare le Donbass de la Crimée, la « Nouvelle Russie », n’est pas à exclure (depuis l’écriture de cette page, elle a effectivement eu lieu le 24 février 2022 comme je l’avais anticipé en 2014). A défaut ce sera un grignotage du pays, une déstabilisation par oligarques interposés et autres guerres hybrides. Enfin, n’oublions pas l’influence grandissante de la Chine au sein de l’ONU.
Mon article préféré
L’invention du paysage occidental
Commentaire : il s’agit du seul texte dans lequel je parle de peinture, en particulier de celle qui a « inventé » le paysage en Europe dans la Flandre de mon enfance. L’article est à la croisée de plusieurs chemins. Un rêve récurrent de mon adolescence à Anvers, la ville des peintres, qui m’a longtemps intrigué ; ma passion pour la peinture flamande de la renaissance ; la lecture de Philippe Descola et de Tsvetan Todorov ; mes années d’escalade à Freyr et beaucoup d’autres choses. Pour mon bonheur, ce texte est très consulté. Une ou deux années plus tard, je suis allé avec une amie voir un tableau de Patenier à Cassel en Flandre française, dont j’ai également rendu compte sur ce site. Un article récent sur le dernier livre de Philippe Descola, Les formes du visible, y fait écho de manière plus large.
Article le plus consulté
Le tabou de la pédophilie féminine
Commentaire : ce n’est pas celui qui me semble le plus intéressant, mais sa fréquentation largement supérieure (plusieurs milliers de vues) aux autres obéit peut-être à la loi dite du « putaclic », à savoir que ce sont les informations relatives au sexe, à la dispute, à la surprise, à la peur, à l’inédit, au « tabou » qui sont les plus consultées sur Internet, comme le documente le sociologue Gérald Bronner dans Apocalypse cognitive (dont le titre obéit un peu à la même logique). Sans oublier la véritable « pédopholie » qui fait amas autour de ce signifiant et devient parfois lassante. Par ailleurs, cet article a commencé à être fréquenté et diffusé sur Facebook (pas par moi, qui ne suis pas sur les réseaux sociaux) après « l’affaire Duhamel ». Il n’empêche, la « pédophilie féminine » semble bien un « impensable ». C’est pour cela que j’ai voulu comprendre quelle étaient les déterminants de cette impensabilité en croisant différentes approches.
Un destin singulier
L’histoire de Kaspar Hauser m’intrigue depuis longtemps, comme celles des « enfants trouvés » ou « placardisés ». J’avais évidemment vu le film étrange de Werner Herzog, qui m’avait scotché sur le siège du cinéma de l’époque. Mais la lecture du livre d’Hervé Mazurel, Gaspard l’obscur ou l’enfant de la nuit, m’a passionné. Ne voulant pas en rester là, j’en ai fait une longue recension, en lien avec l’extension du champ de l’histoire, et des sciences sociales en général, à des domaines jusque là réservés notamment aux psychologues. Comme l’a fait le sociologue Bernard Lahire pour le rêve. D’où cette citation de Marcel Gauchet que j’ai placée en épigraphe : « Un sociologue qui ne se poserait à aucun moment la question de savoir ce qui se passe dans la tête des individus singuliers qu’il appréhende comme acteurs sociaux, c’est-à-dire de l’extérieur et en masse, serait un étrange sociologue ». Elle est accompagnée par celle de Peter Burke : « Au cours des cinquante dernière années, l’histoire a revendiqué des secteurs de l’activité humaine dont on considérait jadis qu’ils n’étaient pas soumis au changement. » En effet. L’accélération de la modernité réflexive, comme dirait le sociologue britannique Anthony Giddens, induit après-coup une perception de la construction historique sur ce qui semblait jusque-là intemporel, naturel, éternel, inné.
Une petite folie dans l’Himalaya
Un voyage à pied dans la solitude la plus totale (ou presque) entre 4.500 et 5.600 mètres. Avec tente mais sans réchaud, sans bonne carte et sans boussole (l’aiguille étant bloquée par les bulles d’air). Le verrou était un col glacière séparant le Rupshu du Spiti. J’ai bivouaqué à son pied, à 5.000 mètres d’altitude dans ma tente trois saisons. Tout comme Peter Matthiessen, je n’ai pas vu le léopard des neiges qui rôdait autour de ma tente. Mais le plus dur était à venir, après le passage du col et les extraordinaires monastères de Key et de Tabo. Ce fut la route en bus jusque Shimla sur une piste vertigineuse, coupée par un glissement de terrain, offrant une vue plongeante sur des carcasses rouillées de véhicules ayant échappé à la bienveillance des dieux. Le lien ci-dessous conduit aux photographies de cette folie. Le récit, « Himalayan Queen », a été publié dans La Revue nouvelle et est accessible depuis la page des images. Ce projet a été réalisé alors que la zone était encore interdite. Il constituait une des plus belles étapes de la traversée intégrale de l’Himalaya, du Bouthan à l’Aghanistan, que j’avais envisagée. J’en ai encore la carte avec l’itinéraire, mais Sylvain Tesson est passé avant moi (ou après, je ne sais plus). Je préfère nettement le léopard à la panthère… Paolo Cognetti a également rôdé dans ces parages, sur la trace de Matthiessen. Le otto montagne est un roman alpin et himalayen, d’une profondeur dépouillée qui m’a bouleversé. Le film lui rend admirablement justice.
Récit de voyage en Inde du sud
Commentaire : un voyage « hivernal » de trois semaines au Kerala, en Inde du sud, dans des familles indiennes chrétiennes et hindouïstes. De Kochin au plateau du Wayanad, d’Aranmula aux backwaters et à la grotte d’Edakkal, en passant par les routes encombrées dans une Ambassador pilotée par notre ami Harry, sans doute le chauffeur le plus impassible du Kerala. Sans oublier une extraordinaire messe de Noël dans une église jacobite et la dernière synagogue de Kochin, non loin des flammes rampantes du temple hindou dans lequel nous sommes entrés par effraction. Mais nous étions souvent loin des images sur papier glacé des agences touristiques, y compris celles de la petite ONG qui avait organisé notre voyage. Le lieu qui m’a le plus marqué, c’est la cabane du chaï-wallah du temple Parthasarathi, non loin d’Aranmula. Comme je l’écrivais, « On ne dira jamais assez combien les chaï-wallah et leurs cabanons sont un des lieux les plus intéressants en Inde, loin devant le Taj Mahal ou le Palais des vents. Bien à l’abri du soleil et assis devant un coin de table, on peut y passer des heures à siroter son thé, manger des bananes ou des biscuits pour quelques roupies. Les gens vont et viennent, font un brin de causette. D’autres passent dans la rue à pied ou à vélo, des enfants en uniforme reviennent de l’école, des sâdhus marchent l’air absent. »
L‘article de blog qui a posé problème à La Revue nouvelle
Commentaire : je n’ai jamais su quel était le problème. Peut-être était-ce l’usage du terme « islamo-gauchiste » (utilisé entre guillemets et sourcé) concernant le parti écologiste suédois ? Ou le fait d’évoquer les questions migratoires, qui ont fortement pesé dans les élections suédoises de septembre 2018 ? J’imagine que l’on devait sans doute me reprocher « de faire le jeu de … », voire peut-être de me rapprocher du « camp du Mal ». C’est un signe, parmi d’autres, de « la fin du débat » et de la nuance. Pour information, le sous-titre de La Revue nouvelle est « Les questions de société en débat ». Ce récit est le fruit d’un voyage d’un mois sur place, chez des Suédois, de très nombreuses lectures et d’un travail sur les données statistiques des autorités suédoises.
Les dernières élections suédoises de 2022 donnèrent largement raison à ce que je pressentais en 2018.
P.-S. Le livre de Renaud Camus, de la collection Demeures de l’esprit, consacré à des maisons d’écrivains suédois, m’avait été recommandé par une amie libraire. Il a été lu après cette affaire. Il ne figurait donc pas dans la bibliographie du texte discuté à la RN. Le fait de mentionner ce robuste ouvrage sur de grands écrivains suédois, leur vie et leur environnement au départ de leur demeure, ne fait évidemment pas de moi un adepte de la théorie du « Grand remplacement »…