La religion, la science et le voile du réel

Voile ndébéle Wikipedia

Voile ndébélé, Afrique du Sud (source Wikipedia)

« Toute notre étude repose sur le postulat que ce sentiment unanime des croyants
de tous les temps ne peut pas être purement illusoire
»

Emile Durkheim

À l’heure où l’on utilise à tour de bras le terme « obscurantisme » pour qualifier le fait religieux, et cela dans la postérité des Lumières en Europe, la curiosité m’a fait remettre la main sur un travail effectué au siècle passé, dans le cadre d’une année préparatoire au doctorat en sociologie. Il s’agit d’une lecture transversale du maître-livre d’Emile Durkheim (un des fondateurs de la sociologie, avec Max Weber), Les formes élémentaires de la vie religieuse, publié en 1912. Le sociologue – fils du rabbin d’Epinal (Moïse Durkheim), qui avait rompu avec le judaïsme, notamment en transgressant un interdit alimentaire –  tente de « dévoiler la cause de la religion à travers l’explication de ses formes supposées les plus élémentaires, les plus originelles ». En d’autres mots, de la désacraliser, de soulever le fameux voile. Selon sa méthode, il l’examine comme « un fait social pouvant être expliqué par d’autres faits sociaux ». Le résultat de son examen minutieux est pour le moins surprenant, et plaide pour son honnêteté intellectuelle et sa lucidité scientifique.

Contrairement à Freud dans L’avenir d’une illusion (1927), Durkheim ne considère pas la religion comme une « illusion », voire un complot des prêtres. Il affirme que, même si la science « s’établira en maîtresse » dans les régions réservées autrefois à la religion, cette dernière « paraît appelée à se transformer plutôt qu’à disparaître ». « La science, écrit-il, est fragmentaire, incomplète (…) et n’est jamais achevée » et « la vie, elle, ne peut attendre ». Mais également : « Il y a dans la religion quelque chose d’éternel qui est destiné à survivre à tous les symboles particuliers dans lesquels la pensée religieuse s’est successivement enveloppée ». 

Remarquons l’attrait toujours persistant, dans notre monde occidental contemporain, pour les zones « fauves », recels du sacré ou du réel, de l’inquiétante étrangeté, qui se situent hors d’un quadrillage rationnel de la vie[1]. Sans parler de l’écologie spirituelle, du néo-chamanisme, du « féminin sacré », et plus, globalement de la « nébuleuse mystique-ésotérique». Nous n’en dirons pas davantage sur le cheminement de Durkheim, ni sur ses conclusions. Bonne lecture à celles et ceux qui s’intéressent à l’un des textes fondateurs de la sociologie de la religion, et ne réduisent pas « la religion » à l’obscurantisme de manière pavlovienne. Mon texte[2], qui se termine en épilogue par un poème populaire algérois, Le voile trompeur, est en attaché sous format pdf.

Bernard De Backer, janvier 2020 et juin 1995

Pour télécharger le fichier en pdf : La religion, la science et le voile du réel

[1] Comme chez Nastassja Martin, anthropologue, auteure de Les âmes sauvages (2016) et de Croire aux fauves (2019). Signalons, dans ce contexte, son interview par Pascal Claude, dans l’émission de la RTBF, Et Dieu dans tout ça ? Je reviendrai sur ces deux livres passionnants et intrigants.

[2] Dans lequel le lecteur, s’il est informé sur ce point, reconnaîtra la triade lacanienne du réel, de l’imaginaire et du symbolique. Difficile de savoir si cette influence a orienté ma lecture, ou si cette tripartition est présente de manière implicite au cœur du livre de Durkheim.

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