Paniques démographiques à l’Est

Debrecen

Gare de Debrecen en Hongrie (photographie de l’auteur)

Trois Bulgares habillés en costume traditionnel japonais marchent dans les rues de Sofia, sabre à la ceinture. « Qui êtes-vous et que voulez-vous ? » leur demande une petite foule très perplexe. « Nous sommes les sept samouraïs et nous voulons faire de ce pays un endroit où vivre mieux » répondent-ils. « Mais alors pourquoi n’êtes-vous que trois ? » leur demande-t-on encore. « Parce que nous sommes les seuls à être restés ; les autres sont tous à l’étranger ».

Dans Ivan Krastev,  Le destin de l’Europe

Au printemps 2017, un long voyage en train de Bruxelles à la ville grecque de Vólos – en passant par Vienne, Debrecen, Sibiu, Bucarest, Roussé, Sofia et Thessalonique – m’a fait traverser pour la première fois la Bulgarie. L’avantage des voyages ferroviaires, surtout dans cette partie de l’Europe où le réseau est proche de l’apoplexie, c’est la lenteur. Mais également le partage des compartiments de seconde classe avec des populations locales qui ne peuvent se payer une voiture ou un billet d’avion. Loin des centres urbains rénovés pour les city-trip, des aéroports aseptisés et des avions survolant le continent en ignorant les campagnes et les bourgades en déshérence, le train nous fait côtoyer d’autres réalités.

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Montagnes maudites du Kanun

Vallée de Valbona en Albanie, vue du col de Teth
(photographie de l’auteur, 1992)

La fameuse formule que les vivants ne sont que des morts en permission
dans cette vie trouve dans nos montagnes sa pleine signification.

Ismaïl Kadaré, Avril brisé

Le geste, sans doute, prêtait à confusion. Plusieurs billets de cent lekë, couleur sang de boeuf, avaient été jetés négligemment sur la table. Sur une face de ces larges coupures, un ouvrier à casquette, main droite posée par-dessus l’épaule d’un jeune pionnier hypnotisé, montrait de sa paume ouverte un barrage aux eaux mugissantes. À l’avers, deux sidérurgistes, debout côte à côte, fixaient un lieu hors champ recelant quelque merveille de l’industrie moderne. Le premier travailleur était moustachu, portait des lunettes relevées sur le front et tendait sa main gantée vers le prodige ; le second, glabre et plus jeune, brandissait une canule de métal arrondi. Son corps était couvert d’un vêtement ignifuge doté d’une large capuche souple, semblable à celle des anciens pêcheurs ostendais. Il suivait du regard la main tendue de son ainé. À l’arrière-plan, des derricks effilés et des hauts-fourneaux pansus se fondaient dans la brume. Les figurants de papier scrutaient tous le même horizon, un lointain laiteux où s’érigeaient les prodiges de la science et de la volonté, irradiant comme l’étoile qui surmontait une aigle à deux têtes, enserré dans un boisseau de blé courbé.

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Kosovo : violence, holisme et mémoire historique

Kosovo

Kosovo (source US Department of Defense)

L’interminable tragédie du Kosovo, dont les prolongements actuels nous montrent le profond enracinement historique et social, ne se résume pas plus aux effets d’une manipulation historique perpétré par Milosevic qu’à l’impact local de stratégies géopolitiques sur l’échiquier mondial. En deçà des manoeuvres du pouvoir politique serbe dans la foulée de l’après-titisme et du « grand jeu » des puissances mondiales, elle est surdéterminée par le mouvement long de l’histoire, la force de la mémoire collective et la prégnance d’un habitus social qui semble échapper à de nombreux observateurs occidentaux. Un article publié il y a peu par La Revue nouvelle invite à mieux prendre la mesure de ces facteurs, tout en n’oubliant pas l’histoire récente et mal connue du Kosovo qui en constitue un relais essentiel.

Bernard De Backer, 1999

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