
Couverture de la version française (source CNRS éditions)
« Je n’imagine pas de pays plus beau que la Petite-Russie. Ce qui me plait surtout, c’est de savoir qu’elle n’a plus d’histoire, son aventure historique est achevée depuis longtemps et pour toujours »
Ivan Bounine (prix Nobel de littérature, 1933), La vie d’Arséniev, 1927
« Sais-tu à qui tu parles, ou l’as-tu oublié ?
Je suis la Russie ! Pourquoi ne me respectes-tu pas ? Comme si tu appartenais à une autre Russie et non à moi ! »
Dialogue entre la Grande Russie et la Petite Russie
Semen Divovytch, 1762 (cité par Kappeler)
(Divovytch est un ancien membre de l’Académie de Kyiv, prédécesseur de l’université nationale « Académie Mohyla de Kiev », fondée en 1632)
Le narratif poutinien sur « les peuples frères » russe et ukrainien – sans oublier les Biélorusses – plonge ses racines dans l’histoire et la géographie. La Trinité du Russe « Grand », « Petit » et « Blanc » formant l’unité du peuple russe, du berceau kiévien jusqu’à la guerre actuelle de « réunification », est pulsée par une chronique séculaire d’écarts et de rapprochements. La Grand Frère voit le Petit se déporter à de nombreuses reprises vers ses voisins polono-lituaniens ou austro-hongrois, puis chercher sa protection pour sauvegarder son autonomie cosaque et son orthodoxie. En toile de fond de cette histoire sinueuse, une très ancienne et fondamentale divergence, qu’il convient de retracer dans ses lignes de force avec l’aide de l’historien autrichien Andreas Kappeler, auteur d’un très éclairant Russes et Ukrainiens, les Frères inégaux. Ce livre en langue allemande, publié en 2017, a été traduit en 2022, l’année de « l’opération militaire spéciale » visant à faire revenir de force le cadet dans le giron du grand frère, quitte à l’anéantir sous motif de « dénazification ». Ce dernier qualificatif a également sa spatio-temporalité, recoupant la première dans le drame familial.
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