Sous le regard de l’Inde

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Préface au livre du photographe Nicolas Springael, Orissa. Terre indienne, publié en 1999

Beaucoup d’entre nous, sans doute, ont dû rêver en contemplant l’Inde dans leur atlas d’écolier, fascinés par ce grand triangle renversé, adossé au socle gris de l’Himalaya et plongeant son immense couteau de terre dans la nappe bleutée des Océans. Ces espaces rêvés de notre enfance se peuplaient d’une vie extravagante, nourrie des récits de Jules Verne, de Kipling ou d’Hergé. C’était l’Inde merveilleuse des cobras, des fakirs, des temples et des bayadères. Plus tard vinrent des images de famine, de violence et de chaos urbain. Entre ces deux clichés, les « Oriental Sceneries » et les reportages-chocs, peu de place pour l’Inde quotidienne des campagnes où vivent plus des trois quarts de sa population.

Dans les images que Nicolas Springael nous donne à voir, vous ne trouverez pas de temples, de fakirs ou de bayadères, pas plus que de bidonvilles ou de palais décatis. Nous sommes plongés dans le rythme lent des villages, des chemins, des lacs et des fleuves qui irriguent l’immensité du sous-continent. C’est l’Inde des paysans, des artisans, des pèlerins et des pêcheurs, celle de Gandhi plutôt que celle de Nehru. Tout au plus peut on y croiser quelque bicyclette en front de mer ou adossée à un arbre, concession toute poétique à une modernité bien timide. Car notre photographe est avant tout un témoin de l’Inde rurale et humaine. Pas une seule de ses images sans homme.

Depuis des années, le photographe-voyageur arpente patiemment la terre indienne en quête de ces lieux où le passage du temps a sédimenté une relation profonde entre les communautés et leur environnement. Il s’immerge progressivement dans l’atmosphère de ces coins de terre, là où villageois, renonçants, marchands et pèlerins vaquent à leurs occupations, sacrées ou profanes. Comme eux, il se lève aux aurores, observe le ciel, parcourt les chemins, s’accroupit à même le sol, toujours en quête de cet instant présent dont il a fait son enseigne.

Après les terres sèches du Karnataka, les eaux limoneuses du Gange, les sables du Rajasthan et les lacs du Cachemire, Nicolas Springael est parti à la découverte de l’Orissa. Situé sur le versant oriental du triangle indien, au sud de Calcutta, cet État reçoit sur ses plages les dernières eaux du Gange en provenance du Bengale. Comme portées par le mouvement du fleuve sacré, les populations indo-européennes du Nord se sont progressivement établies le long de ses côtes, repoussant vers les collines les aborigènes du sous-continent et les ethnies de langue dravidienne. Ces mouvements de population ont créé une division de l’Orissa en zones bien distinctes, partition que l’on retrouve en filigrane dans le travail du photographe.

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Localisation de l’Orissa en Inde (source Wikipedia)

En compagnie d’un ami Bengali, Nicolas Springael s’est d’abord rendu dans l’extrême sud de l’Orissa, dans la région aborigène de Malkangiri – un pays perdu de forêts, de lacs et de collines, presque sans route et sans école. Pendant de nombreux jours, il a arpenté le district à pied, à bicyclette et en jeep. Il a rejoint ensuite la côte, une longue étendue de sable entre les villes de Puri et de Konarka, le domaine des pêcheurs, des joueurs de toupie et des enfants. Puis, dérogeant quelque peu à son habitude, le photographe s’est lancé dans un voyage itinérant en direction du Madhya Pradesh et du Bihar. Bien lui en prit, car il y rencontra musiciens, orfèvres et Brahmanes, ainsi qu’une femme qui le regarda droit dans les yeux.

Les images qu’il nous offre sont celles d’une Inde silencieuse, où hommes et femmes reposent dans l’étendue d’un paysage ou l’intimité d’une maison. Des paysans battent le riz, le geste suspendu dans le ciel. Une villageoise traverse la forêt, un fagot sur la tête. Une famille se repose au pied d’un arbre, des pêcheurs rentrent leur barque, un homme se prosterne devant un renonçant…

Photographies sans parole mais aussi sans écrit, dans un pays qui ne manque pas d’enseignes et d’inscriptions en tout genre. La grâce des corps, l’intensité des regards, l’ombre portée d’une silhouette, la finesse d’une main levée sont les seuls signes humains qui composent les écrits de lumière du photographe.

Bernard De Backer, 1999

Présentation du livre sur le site du photographe

Post-Scriptum : L’Orissa se nomme Odisha depuis novembre 2011.

 

 

 

 

 

 

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