
Vue de l’Avesnois par le peintre Raymond Debiève
(Maison du Bocage à Sains-du-Nord)
La journée fut ardente et folle pour une fin d’avril. Le paysage de prairies, de haies vives, d‘arbres d’une verdure cristalline étincelait dans la chaleur de l’été. La conjonction d’un soleil couchant somptueux, de buissons d’aubépine ployant sous d’épaisses grappes et de prairies tapissées de renoncules recouvrait la terre d’un manteau doré. L’étroite route parcourue à bicyclette serpentait entre bocages et bosquets. Parfois, une trouée dans les haies laissait entrevoir des groupes de moutons ou de petites vaches brunes, de vieilles maisons de pierres et de briques. Nous revenions de Maroilles pour rejoindre Noyelles, non loin de la Sambre, des marais et prairies humides qui la bordent. Au-delà, la forêt de Mormal dressait ses chênes sur le versant nord de la vallée. Notre logement apparut bientôt au premier étage d’une maisonnette de vieilles briques. Après avoir rangé les vélos, nous avons escaladé l’escalier de bois pour retrouver notre gîte nimbé de lumière pourpre. Le premier soir tombait.
Si t’vas dins l’Avesnois
Té pousses ch’qu’à Trélon
Ten’verras mi in bout d’carbon
Dins l’Nord y a pas qu’des corons, chanson d’André Dufour
J’avais déjà traversé l’Avesnois[1] et son Parc naturel à deux reprises, la dernière fois en revenant du Parc national des Forêts près de Langres en passant par la ville de Laon et le familistère de Guise. Je m’étais alors interrogé sur la disparition des bocages suite au remembrement et à « la fin des paysans » (Mendras). Cette fois, il s’agissait d’y rester plusieurs jours et de l’arpenter à vélo depuis le village de Noyelles. Ce fut une rude affaire pour notre duo vénérable : plus de cent-vingt kilomètres sur deux roues par vingt-huit degrés à l’ombre, suivis d’une journée pluvieuse en automobile pour visiter deux musées industriels – le splendide Musverre à Sars-Poterie et le passionnant musée du textile et de la vie sociale à Fourmies –, ainsi que la Maison du Bocage à Sains-du-Nord. Et les ruines romaines de Bavay pour débuter. Mais n’anticipons pas. Commençons par découvrir le pays, ses habitants et son histoire sur deux roues. Nous y croiserons des faisans bruyants et des joggeurs en nage, de la capiteuse bière « Paix Dieu » dans des cols évasés, un journaliste belge avec chapeau de brousse, du relief et des haies fleuries à n’en plus finir.

Haie boisée de l’Avesnois au soleil couchant
(photographie de l’auteur)
Les miracles du bocage
Au lendemain de « la lessive d’or du couchant », comme écrivait Rimbaud dans Les Illuminations, nous nous mîmes en route pour un long parcours cycliste vers Avesnes-sur-Helpe et retour. Nous découvrîmes rapidement sous nos deux-roues la première caractéristique du pays avesnois : ses montagnes russes. Ce n’est pas une plaine, mais une région de collines moutonnées dont le point culminant atteint 270 mètres à Anor. Il est traversé de rivières, telle la Sambre, bien sûr, mais également l’Helpe Majeure et sa petite sœur Mineure, ainsi que de multiples ruisseaux comme la Plate Pierre, les Haveries, le Rieux Sart, l’Air, etc. Comme le bocage est omniprésent, le paysage est découpé par les haies et les grands arbres, parfois des bois et des forêts. On navigue dans un patchwork de collines et de maillage bocager. Les petites routes sont souvent sinueuses, bordées parfois de murs végétaux ou de maisons anciennes. Nous filons vers Taisnières-en-Thiérache, Marbaix, Dompierres-sur-Helpe et Saint-Hilaire – également sur-Helpe. La chaleur est forte, le soleil de plus en plus brûlant. C’est la Normandie sous les Tropiques.
Le relief accidenté est la première raison de la survivance du bocage, alors que les régions voisines, plus planes, ont été remembrées en grandes monocultures céréalières – comme celle de Vervins, située plus au sud, où le paysage respire l’ennui, le productivisme et la monotonie. Le relief et la nature du sol argileux font de l’Avesnois une région d’élevage et de petites parcelles avec un habitat plus dispersé. S’il y a bien quelques espaces de cultures qui ont été totalement ou partiellement remembrés, le cœur du pays est le bocage (même si l’histoire du bocage en Avesnois est tortueuse, avec des luttes entres moines et paysans, ces derniers voulant conserver les terres communes non clôturées). Les haies sont plus ou moins complexes, de la simple clôture de charmes (parfois récente) à d’épaisses murailles d’arbres et de buissons, aujourd’hui en fleurs. Il y en a pour plus de dix mille kilomètres et, aux dernières nouvelles, on continue d’en replanter.





Paysage de l’Avesnois … avec l’inévitable Maroilles
(photographie de l’auteur)
On y trouve toutes sortes d’essences végétales, d’insectes, de lézards et de serpents, d’oiseaux, de mammifères. Des noisetiers, prunelliers, fusains, cornouillers, aubépines, sureaux, églantiers, ronces, lierres, aulnes, ormes, frênes, saules… Un fouillis végétal qui abrite de la mousse, du lichen, des champignons, des renoncules et autres benoîtes. Les haies sont une demeure ou un lieu de passage pour les abeilles, guêpes, papillons, bourdons, escargots, sauterelles, grillons, araignées, souris, lérots, musaraignes, campagnols, carabes, orvets et coccinelles. Et qui sont bien évidemment chassés par les pies, faucons, grives, linottes, buses, bergeronnettes, mésanges, chauve-souris et moineaux. On peut aussi y croiser des hermines, renards, lapins, lièvres, chevreuils et hérissons. Il y a foule dans le bocage, sans oublier que les paysans peuvent y couper du bois et y trouver des fruits comme prunelles et noisettes. Quant aux vaches, elles y ont de l’ombre et de l’humidité, et peuvent y ruminer à l’abri du vent.
Une ville ensommeillée
La montée se fait plus raide et l’on traverse un gros village sur les hauteurs. C’est Dompierres-sur-Helpe, mi-rustique, mi-moderne avec ses vieilles fermes et ses gîtes – les grandes surfaces d’Avesnes-sur-Helpe voisine ont tué les commerces locaux. Dans un village traversé un autre jour, nous verrons même une sorte de self-service Amazon de couleur grise. Jef Besos s’installe dans l’Avesnois. Mais n’en faisons pas un fromage, la production locale, surtout agricole (lait, fromage, bois, miel, viande, fruits, confiture, tartes, saucisson, bière…) reste très vivace.
Le tourisme vert se développe, le patrimoine est soigné, les activités culturelles et sportives sont nombreuses, les musées vivants, les gîtes, auberges et chambres d’hôtes très accueillants. Quant aux fermes produisant le Maroilles, elles ressemblent aujourd’hui à de grandes boutiques de « produits du terroir » aux richesses innombrables, avec le grand parking associé. N’espérez pas trouver une vieille ferme rustique.
L’église d’Avesnes-sur-Helpe se profile dans le lointain, au détour d’une carrière. C’est une petite ville de rues étroites au relief marqué, qui semble un peu endormie. Elle, aussi, souffre des zones commerciales installées en périphérie. Comme c’est dimanche, nous nous rabattons sur un petit restaurant avec terrasse près de la place centrale. L’accueil est chaleureux, comme un peu partout dans la région (et dans le Nord en général). Un petite fille très sérieuse portant des tresses vient nous saluer avec son papa, prendre les commandes et apporter les plats. Elle apprend le métier. Son père dit avec une tendre ironie : « C’est elle la patronne ».
Chaussée Brunehaut et athlètes de Maroilles
On se remet en selle, car la route du retour est longue et nous souhaitons revenir par le sud. Nous descendons vers Cartignies en traversant la chaussée Brunehaut, une interminable voie rectiligne dont nous retrouverons une variante à Bavay (elles sont plusieurs à porter ce nom, donné au Moyen Âge à d’antiques voies gauloises restaurées et utilisées par les Romains). Sur les hauteurs du village de Cartignies, le duo de cyclistes oblique vers l’ouest et suit la vallée de l’Helpe Mineure vers Grand-Fayt et Maroilles. De ces hauteurs, la vue surplombe les bocages et porte loin vers les limites méridionales de l’Avesnois.

Nous descendons ensuite vers Petit-Fayt et Grand-Fayt, le long de l’Helpe Mineure, avant de remonter sec vers le « Pas de Laliau » et le plateau. La pente est raide, mais notre ascension longe de nombreux groupes couchés dans l’herbe le long de la route. Bientôt des gendarmes et des barrières métalliques nous attendent en haut. Nous sommes tombés sur le parcours des « Vingt kilomètres de Maroilles », qui rassemble plus de 5.300 joggeurs par ving-huit degrés et en plein soleil ! Des hauteurs du « col », nous voyons arriver, après l’inévitable caravane publicitaire, le concurrent de tête allongé sur un véhicule roulant qu’il propulse à la force de ses bras, puis les autres coureurs incroyablement espacés. Le parcours est effectivement fort sélectif, mais la première femme, une gracieuse brune décidée, arrive bientôt avec une belle foulée. Notre logeuse de Noyelles, nous l’apprendrons le soir, est arrivée septième parmi les femmes.
Journaliste au bout du monde
Le lendemain, toujours aussi chaud et lumineux, nous décidons de partir vers la forêt de Mormal et son village enclavé de Locquignol. Mais on passe d’abord à Maroilles, qui est sur notre route, pour visiter la Maison du Parc située dans la grange dimière (celle où l’on rassemblait les fruits de la dîme) de l’ancien monastère du village. La maison est belle, mais le lieu est presque vide, des salles étant en pleine réfection. Il n’y a que des panneaux généralistes pour touristes qui n’apprennent pas grand-chose aux visiteurs déjà informés sur la région et son Parc naturel. Nous sortons bientôt et l’on nous conseille d’aller voir le moulin en contrebas, celui qui tournait naguère grâce aux courants de l’Helpe Mineure.
Nous y rencontrons quelques personnes adossées à un muret au-dessus de la rivière. Curieusement, l’une semble tenir une commande de drone, l’autre une perche et un micro moussu. La troisième, mince et la tête couverte d’un chapeau assorti à son débardeur, me regarde en souriant. Ce sont des journalistes de la radio belge qui réalisent une émission sur les chemins verts de la région. Le journaliste commence à parler et je reconnais aussitôt sa voix et son phrasé. C’est celui des « Belges du bout du monde » : Adrien Joveneau. Nous évoquons la région et, après que je lui ai expliqué les raisons de la présence du bocage en Avesnois et pas dans d’autres régions remembrées, il me propose un bout d’interview sur ce sujet. L’équipe se met en place, le drone s’envole et les micros se tendent. Ce sera donc fait, avec un éclat de rire au final.

Rivière de l’Avesnois vue d’un drone
(Source Maison du Parc)
Dans la forêt de Mormal
Après l’atterrissage du drone et une discussion hors micro avec Joveneau sur les mérites respectifs de Nicolas Bouvier et de Sylvain Tesson[2], nous prenons la direction de la légendaire forêt de Mormal. La route descend légèrement vers la vallée de la Sambre, ses prairies humides, ses joncs et ses marécages. Tout semble un peu désert sous un soleil de juillet. La route se relève et nous affrontons un faux plat épuisant pendant une quinzaine de kilomètres. Nous nous enfonçons ensuite sur un chemin forestier et atteignons un chêne remarquable au cœur du massif, le « Roi du bois ». Il se tient bien droit dans un espace dégagé autour de lui, son somptueux houppier couronnant un tronc d’une verticalité absolue.

Carte de la forêt de Mormal, vers 1777
(source Wikipédia)
La forêt nous paraît surtout composée de chênes qui semblent du même âge, proche des quatre-vingts ans. Mormal a en effet été ravagée par la première guerre mondiale, surexploitée pendant la seconde, et replantée ensuite. Sa bordure occidentale rectiligne est longée par une autre chaussée de Brunehaut qui se dirige tout droit sur Bavay. Sa faible biodiversité s’explique par les guerres et la surexploitation. Mais de nos bécanes, nous ne percevons que la splendeur des fûts et des canopées, le silence de la futaie qui n’est rompu que par un groupe de promeneurs. Il se dirige vers un arboretum par un chemin forestier cabossé, puis une étroite sente qui serpente dans un fouillis de jeunes arbres. Nous les suivons, mais rebroussons chemin à l’entrée du sentier peu propice à nos deux roues. La faim nous tenaille et il y a un restaurant à Locquignol.
Ce village entouré de tous côtés par la forêt m’avait un peu fait rêver. J’imaginais une sorte de survivance médiévale protégée de la modernité par l’épaisse forêt, d’antiques maisons et des auberges forestières de légende. Hélas, le lieu est plutôt banal, sans doute détruit par les deux guerres et reconstruit après 1945. Mais le petit restaurant de plain-pied, l’estaminet L’eau qui gnôle, est sympathique et l’accueil, une fois de plus, charmant. Il est tenu par des franco-belges et l’entrecôte est certifiée « française », ce qui fait rire tout le monde. La bière dite « Paix Dieu » (brassée à Péruwelz en Belgique) versée dans de superbes verres sur pied, dont le col est taillé en oblique, produit des effets redoutables par cette chaleur. Le café nous permettra de nous remettre prudemment en selle. La route est encore longue.


Le « Roi du bois » et la cycliste photographiant son tronc
(photographie de l’auteur)
À travers la Haie d’Avesnes
Le lendemain est annoncé pluvieux dans l’après-midi, et nous décidons de visiter quelques musées de la région sur quatre roues. Les jambes ont par ailleurs besoin de repos après plus de cent vingt kilomètres par monts et par vaux. On commencera par Bavay et ses ruines romaines, en point de mire des quatre « chaussées de Brunehaut » qui s’y croisent. Il faut retraverser la forêt de Mormal et prendre la chaussée à droite en sortant. Hélas, au centre de Bavay les ruines romaines (impressionnantes par leur taille) ne sont pas accessibles et nous nous rabattons sur une fromagerie moins antique. La patronne est charmante (encore) et très compétente en matière de fromages. Elle ne vend que des produits faits avec du lait cru, c’est dire. On y fera aussi l’acquisition d’une bière à la châtaigne. Le Nord est plein de ressources, et pas que de corons.


Fragment oriental de la Haie d’Avesnes en 1780 et Haie totale en 1818
(source Wikipédia et Maison du Parc naturel)
L’étape suivante est Sars-Poteries où se trouve le musée du verre, « Musverre » pour les intimes. Car l’Avesnois n’est pas qu’une terre agricole bocagère, mais également un territoire avec quelques industries, dont celles du verre, du bois et du textile (à Fourmies). Sur la route, après quelques champs remembrés d’une grande platitude, nous traversons un étrange massif forestier en demi-lune : « La Haie d’Avesnes ». Sa taille est aujourd’hui réduite par rapport à l’Ancien Régime, époque où elle servait de protection pour Avesnes-sur-Helpe afin de parer les attaques venant du nord. Nous traversons ses beaux restes avant d’atteindre le village de Dourlers et son marché couvert dans une belle halle de briques. Donnant sur la place centrale, un distributeur Amazon de couleur grise. Une aimable dame qui travaille à la municipalité nous conseille d’aller visiter une ferme voisine fabriquant du Maroilles, mais nous nous enfuyons aussitôt la porte franchie. C’est un supermarché de produits locaux.
« Bousillés » dans musée zen
Sars-Poteries se trouve de l’autre côté de la seconde courbe rentrante de la Haie d’Avesnes. Nous y découvrons un bourg allongé le long de la route, au passé visiblement industriel. À notre gauche, un très élégant bâtiment de béton et de pierre bleue sans étage, entouré d’une sorte de jardin japonais simplifié et précédé de l’inévitable et indispensable parking. C’est le Musverre.

Vue sur le Musverre et son jardin dépouillé
(photographie de l’auteur)
Dès la porte franchie, nous sommes séduits par la beauté architecturale et la lumière savamment diffusée. C’est un musée très « zen ». Il abrite deux types de collections : les productions artistiques des ouvriers de la verrerie ou « bousillés », et des œuvres contemporaines. Son origine remonte à l’initiative du curé local (Louis Mériaux) qui, en visitant ses paroissiens, avait remarqué les objets colorés et pleins de fantaisie des ouvriers, composés à partir des « chutes » de verre : lampes à huile, carafes, coupes, fontaines… Il décida de les exposer et, de fil en aiguille, le musée vit le jour. D’abord une vieille maison, puis cet espace aux angles droits, dépouillé et lisse comme du verre.
Celui que nous visitons est en effet nouveau (2016) et parfait à l’oeil. On commence par l’historique et les prodigieux « bousillés » des ouvriers, puis les salles d’œuvres contemporaines. Certaines feraient tomber raide mort, tant elles sont belles dans ce décor. Un kiwi géant coupé en deux, des corps humains dont un squelette en cristal suspendu à l’horizontale, des petits personnages joufflus de couleur, une draperie vieux rose, trois pièces côte à côte composant une joueuse de flute, une jeune femme japonaise assise. Ses compatriotes doivent aimer ce musée, j’en suis sûr. D’autant que les ouvertures vers le jardin font entrer la nature à l’intérieur des pièces et des couloirs. Dans le hall d’accueil, des livres et des objets (dont des parapluies), un espace pour les enfants. Mais dehors la pluie redouble. C’est un orage, mais nous n’avons pas de parapluie. Il faudra acheter celui vendu par le Musverre, parfaitement translucide.





Quelques œuvres du Musverre
(photographie de l’auteur)
Enfin le Nord sous la pluie !
En route pour Sains-du-Nord, située à mi-chemin de Fourmies. La Maison du Bocage doit bien être quelque part, mais elle est difficile à dénicher, d’autant qu’il pleut des cordes. La bourgade rurale est située en hauteur, avec quelques rues en forte pente. Comme souvent, le lieu recherché est signalé par des panneaux, puis ceux-ci s’arrêtent d’un coup et le visiteur est largué en rase campagne. Enfin, la grande maison de maître est visible entre des arbres, mais elle est fermée jusqu’à 14:30 h. Il faut patienter sous la pluie avant de pénétrer dans un lieu singulier, un peu vieillot mais plein de charme. Les jardins botaniques, surtout, sont remarquables, ainsi que la salle dédiée au peintre Raymond Debiève.



À la Maison du Bocage
(photographie de l’auteur)
Mais avant cela, le musée proprement dit est aménagé dans une grande maison du XIXe siècle un peu kitsch rose et vert, avec grandes baies, cheminées de marbre et escalier grinçant. On y voit un gros livre déposé sur une table, Colloque européen sur le devenir des bocages (à consulter sur place), Écomusée de la région de Fourmies-Trélon. Mais la Maison du Bocage s’est mystérieusement retirée de l’ensemble Écomusée qui ne comporte plus que le Musverre et le Musée du textile et de la vie sociale de Fourmies, qui n’ont rien d’écologique. À moins que Éco ne signifie économie, mais ce n’est pas très clair. L’Avesnois est plein de surprises.
À l’étage, des panneaux explicatifs sur le bocage, la nature du paysage, les dangers qui menacent le maillage bocager, comme, bien entendu, le remembrement, et son intérêt majeur pour le développement durable. Une vidéo montre les travaux d’entretien des haies par nettoyage et plessage (tressage). Mais les informations exposées montrent aussi que la région est « une société agricole associée à une économie industrielle » grâce à la présence de ressources minérales (minerai de fer, marbre), d’eau et de forêts. Toutes qualités qui ont permis une industrialisation précoce ou « proto-industrie » dès le XVIe siècle. Il y eut, dès cette époque, des verreries, des poteries des fonderies et des forges, ainsi que des ateliers ruraux (vannerie, tissage et filature). Puis, au XIXe siècle, « l’explosion de l’industrie textile » dans le bassin de Fourmies, sans oublier les brasseries et autres fromageries (le Maroilles, la redoutable « boule d’Avesnes » et bien d’autres).

Vue de la cabane de la Maison du Bocage
(photographie de l’auteur)
En sortant de la maison, nous découvrons une annexe exposant les œuvres du peintre Raymond Debiève, inspirées de Breughel, Van Gogh et d’autres. Ses tableaux sont très colorés et comportent quelques paysages de la région. Enfin, à l’extérieur, un jardin botanique petit mais époustouflant, extrêmement bien soigné et disposé. On y trouve une bonne trentaine de variétés de menthe (au moins) et des exemples de permaculture et de jardin-forêt. Une petite cabane en hauteur, posée sur des pieds, permet de voir la campagne à travers des trouées rondes. Un petit cours d’eau alimente un étang splendide, lui aussi un peu nippon. Le Japon est discrètement à l’honneur en Avesnois. Pour clôturer le tout, une vieille grange d’un village, déplacée et reconstituée, permet d’admirer une charpente prodigieusement ouvragée.

Plantation de nouvelles haies dans l’Avesnois
(source Maison du Bocage)
Textile et vie sociale
Enfin, voici Fourmies, une petite ville industrielle située à l’extrémité méridionale du Parc. Comme nous l’avons vu, les industries sont anciennes dans l’Avesnois, dès avant l’ère du charbon et de l’acier alliés à la machine à vapeur. Fourmies a vu une première verrerie s’installer dès 1599 et une filature de lin en 1774. Mais c’est au XIXe siècle que l’explosion se produit, avec de nombreuses filatures de laine et de coton, de nouvelles verreries. La population passe de 2.000 à 16.000 habitants. Sans compter les ouvriers qui vivent encore à la campagne et font la navette entre ferme et usine. Le chemin de fer arrive en 1869 et l’industrie lainière voit son apogée. Le 1ermai 1891, les ouvriers et ouvrières manifestent pour de meilleures conditions de travail (dont la journée de huit heures) et, après des heures de face à face, la troupe tire sur les manifestants en faisant neuf morts, dont deux enfants. C’est « la fusillade de Fourmies » dont l’ouvrière Maria Blondeau, morte à 17 ans, sera l’héroïne. Le gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, se rendra sur les lieux.





Le musée du textile et de la vie sociale, la fusillade de Fourmies en 1891,
(photographies de l’auteur, source Wikipédia)
C’est dans ce contexte historique, industriel et social que le musée a été créé dans une ancienne filature. Le lieu est intelligemment rénové, accueillant et pédagogique. Nous nous joignons rapidement à un groupe, conduit par un ancien ouvrier et fils d’ouvrier qui s’avèrera un guide absolument parfait. Il connaît son sujet (notamment les nombreuses machines) sur le bout des doigts et parle d’expérience vécue et transmise. De plus, il a réponse à tout avec humour, assurance et un savoir d’expérience, notamment sur la condition ouvrière dans les filatures. Nous passons tout le processus en revue, de la laine brute au fil torsadé et au tissage. Sans oublier, avant tout, les conditions de travail des ouvriers et ouvrières aux deux siècles passés. Il nous raconte avec passion et détails « la fusillade de Fourmies ». Puis les affres de la délocalisation au XXe siècle. Mon voisin, qui a travaillé dans l’industrie et a vécu les mêmes drames, me raconte son expérience apparentée. La visite se termine par une rue reconstituée de Fourmies au XIXe siècle. J’apprendrai lors de cette visite que Fourmies et la région ont été espagnols et je penserai, à tort, que le mot « estaminet » est d’origine espagnole (« esta un minuto » – un endroit où l’on passe boire un verre en vitesse, comme l’étymologie russe de bistro, « vite »), mais l’origine ferait référence aux nombreux piliers (« estamets ») qui soutenaient ce genre de lieu.
Un peu sonné par ces visites qui complètent la seule vision « bocagère » de l’Avesnois, nous remontons vers Noyelles, avant de dévorer la pizza d’un petit restaurant tenu par trois jeunes de Maroilles. Nous y sommes allés à vélo et revenons légèrement avinés vers notre gîte. Le lendemain, Matisse aura notre visite à Cateau-Cambrésis. Mais ce n’est déjà plus le Parc naturel. André Dufour a bien raison : Dins l’Nord y a pas qu’des corons.
Bernard De Backer, mai 2025
Complément du 12 septembre 2025. Dans la superbe série Les promesses de la terre sur Arte, « Redécouvrir le bocage » (on n’y parle pas de L’avesnois, mais d’autres régions de bocages superbes). Du grand art !
Complément du 4 juillet 2025. Robert Louis Stevenson en Avesnois sur la Sambre, le long de la forêt de Mormal, Arte 23 septembre 2024 (je viens de le découvrir). C’est son premier livre, Voyage en canoë sur les rivières du nord (An Inland Voyage, 1878 – d’Anvers à Pontoise en canoë à voile, en passant par Bruxelles, avec une partie en train pour éviter les régions trop industrielles). Stevenson et son camarade de voyage longèrent la forêt de Mormal sous la pluie et l’Écossais fut déçu par la petitesse de la forêt ! Ce livre est un ouvrage pionnier de littérature de voyage. Il fut suivi par Voyage avec un âne dans les Cévennes. Nous avons donc croisé, sans le savoir, la route de Stevenson en traversant la Sambre canalisée entre Maroilles et le forêt de Mormal.

Frontispice de An Inland Voyage
(source Wikipédia)
P.S. Dernière minute. L’émission d’Adrien Joveneau « L’échappée belge » sur l’Avesnois a été diffusée par la RTBF le 6 juin 2025. L’interview complète du cycliste « gilet jaune » de Routes et déroutes est à écouter à partir de 58:30.

Mes remerciements à Dominique qui m’a fait découvrir cette région et à Anne qui a partagé ce voyage plein de surprises sur deux et quatre roues.
Ce n’est pas la troisième mais la quatrième fois que je vais dans l’Avesnois. Mon ami Jacky Degueldre vient en effet de me rappeler que nous avions naguère mangé à Maroilles et traversé la forêt de Mormal à vélo sous la pluie. C’était lors du raid cycliste Branco Felge en 2005, dont il était l’organisateur. Ce « raid » allait d’Avioth jusqu’au Pays des collines et retour, en longeant la frontière. Jacky, excellent dessinateur, en avait composé l’affiche ci-dessous. Dins l’Nord il y aussi du houblon ! (C’est aussi lui qui m’a fait connaître la Chanson d’André Dufour lors d’un second raid cycliste à la Côte d’Opale). J’en profite pour glisser une conseil d’expérience pour le Maroilles : achetez toujours celui au lait cru. La différence gustative est considérable.

P.S. Inutile de dire que la disparition du bocage et des haies est une catastrophe écologique en terme de biodiversité et de climat, notamment. Voilà à ce sujet l’article du journal Le Monde et le rapport du Ministère français de l’agriculture de mai 2023 sur le sujet.
Fenêtres au Musée Matisse à Cateau-Cambrésis
(photographies de l’auteur)



[1] L’Avesnois correspond à l’arrondissement d’Avesnes-sur-Helpe. C’est le seul, en France, dont les limites épousent celles d’un « pays traditionnel » ou région naturelle. Le Parc naturel régional de l’Avesnois recouvre une bonne partie de l’arrondissement. Il a été créé en mars 1998. Le bocage est en régression dans le nord de l’Avesnois, mais pas dans le Parc.
[2] Sur ce point, mon admiration pour l’écriture, le sens de l’image, la sensibilité, l’érudition, l’humilité et l’attention aux autres de Bouvier, qui considérait le voyage comme « un exercice de disparition », ne me fait guère apprécier Tesson, bien trop auto-centré et médiatique à mes yeux. Pour lui, le voyage ne semble guère « un exercice de disparition ». Adrien Joveneau n’était pas du même avis, mais nous n’allions pas « en faire un fromage », surtout à Maroilles…
Sources
- Carré Jean-Pierre, « L’agriculture en Avesnois », site Patrimoine Avesnois (non daté)
- Carré Jean-Pierre, « Les éléments constitutifs du bocage avesnois (XIVe –XVe siècle) », site Patrimoine Avesnois(non daté)
- Chantriot Emile, La Thiérache, Annales de géographie, 1901 (ancien mais intéressant)
- Lamy Jerôme, « Le grand remembrement. La sociologie des savoirs ruraux depuis les années 1950 », Zilsel, 2017,1
- Léraud Inès, Van Hove Pierre, Champs de bataille. L’histoire enfouie du remembrement, La revue dessinée – Delcourt, 2024
- Léraud Inès, « Le grand remembrement », France culture, 23 janvier 2023
- Léraud Inès, « L’histoire enfouie du remembrement », France Inter, 20 novembre 2024
- Léraud Inès, « Le remembrement, une division des terres et des êtres », France culture, 28 novembre 2024
- Mendras Henri, La fin des paysans, Éditions Sédéis, 1967 (réédition Actes Sud en 1984 et 1992)
- Neumann Stan, Le temps des paysans, Arte, 2024 (voir surtout la fin du quatrième épisode de la série)
Sur le net
- Site internet du Musée du verre à Sars-Poteries
- Site internet du Musée du textile et de la vie sociale à Fourmies
- Site internet de la Maison du bocage à Sains-du-Nord
- Site internet du Parc naturel de l’Avesnois
- Site internet sur la forêt de Mormal
- (excellent site militant pour sa protection, avec de belles images de cerfs)
- Site internet « galerie Raymond Debiève »
- En vidéo, les 20 km de Maroilles (vus d’une caméra emportée par un coureur : 5.300 participants, un monde fou à l’arrivée de Maroilles, nombreuses échappées vers le paysage et les maisons de briques et de pierres le long de la route, beaucoup de bouteilles en plastique, une vue de l’arrivée au sommet de la côte…)
- Le Monde, 27 avril 2023, Depuis 1950, 70 % des haies ont disparu des bocages et le phénomène s’accélère
- Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire (France), La haie levier de la planification écologique, 24 mai 2023
- Sauvons nos haies, Agir pour l’environnement
- Pourquoi l’arrachage de haies anciennes est un vrai drame pour la biodiversité, We demain
- Les destructions de haies ont le champ libre, Splann
D’innombrables pages Facebook et autres réseaux sociaux sont liés à l’Avesnois et à leurs habitants. N’étant pas moi-même sur ces réseaux, je n’y ai souvent pas accès. En voici l’un ou l’autre que j’ai pu capter.
- L’Avesnois autrement (différentes vidéos cyclistes documentées, notamment sur Sars-Poteries, prises par un cycliste de Maubeuge)
- L’Avesnois, ses villes, ses villages
Enfin (si j’ose dire) j’ai découvert l’existence d’un poète, romancier, dramaturge et scénariste prolifique originaire de l’Avesnois, Dominique Sampiero (Jean-Claude Lefebvre, né au Quesnoy en 1954). Il aurait écrit un hommage à l’Avesnois (c’est comme cela que je l’ai trouvé…), publié aux éditions du Laquet, collection Terre d’Encre. Mais je ne connaîs pas le titre de ce livre (je suis preneur, appel aux lecteurs). Sampiero vit de l’autre côté de la forêt de Mormal en venant de Maroilles, dans le village de Salesches.
Routes et déroutes
« Très beau, Bernard. Enlevé, enrichissant, apaisant. On s’y croit, on y est, comme lors de tous tes récits de voyage. Il donne envie d’y retourner. Voir à nouveau ces paysages et traces humaines, proches et autres. Des souvenirs du début des années soixante. Les escapades depuis Charleroi avec parents et ceux revenus en hâte du Congo, pour aller dans ces petits cafés faisant une cuisine de rêve. Devant le kiosque de Cousolre, près de l’église d’Eppe-Sauvage à la belle fresque de l’abbaye de Lobbes (appel à Stéphane Bern…). »
Commentaire de Dominique Wautier qui m’a fait connaître l’Avesnois mais qui n’arrive pas à poster un commentaire :-(
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Merci, Dominique ! Tu as été mon « professeur Lidenbrock » (cf Voyage au centre de la terre de Jules Verne) dans ma découverte de l’Avesnois, même si je l’avais déjà traversé en 2005 – et à vélo. Désolé pour cette difficulté de poster un commentaire, que je ne comprends pas ! L’interface de WordPress est parfois capricieux, tu n’es pas la première…
P.S. Mes deux derniers textes, celui sur l’odyssée de mon oncle Jean-Léon Huens d’Auschwitz à Bruxelles et celui-ci, m’ont fait réfléchir à la mémoire. J’avais en effet complètement oublié avoir traversé l’Avesnois à vélo en 2005, mangé à Maroilles et parcouru la forêt de Mormal sous la pluie. Pour le premier récit, le témoignage de Robert Werdefroy, raconté 40 ans après les faits, est totalement en opposition avec celui de Jan Rajlich qui date, lui, de 2005. Je me souviens par contre bien de ce que tu évoques sur l’Avesnois, sauf que j’avais la certitude qu’Avesnes-sur-Helpe que nous avions traversé en voiture était une petite ville toute plate. Une toute autre image s’était construite dans mon souvenir. Voilà qui invite à être prudent, et rend perplexe…
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Bravo pour ce bel article, bien documenté, bien écrit, enrichissant et qui reflète parfaitement bien notre bel Avesnois ! Merci Bernard pour ce superbe récit « d’aventures », votre aventure ! Au plaisir de vous recevoir à nouveau pour d’autres découvertes car vous n’avez pas tout vu 🙂 Flavie.
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Commentaire bienvenu, chère Flavie ! Nous étions tellement bien chez vous qu’il était dur de sortir pour visiter l’Avesnois 🙂 Blague dans le coin, ce séjour fut passionnant de bout en bout. Et si vous regardez le bandeau en haut du site (carte de la forêt de Mormal « vers 1777 ») vous verrez Noyelles au-dessus des anges dans les nuages…
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Bonjour,
Article très intéressant que je conserve pour une meilleure lecture .
Avesnes sur Helpe et son église, en fait c’est une collégiale devenue simple église, si cela vous intéresse je vous laisse le lien qui explique ce que je ne connaissais pas sur les collégiales : https://decoder-eglises-chateaux.fr/cathedrale-abbatiale-collegiale-basilique-quelle-difference/#:~:text=La%20coll%C3%A9giale%20%3A%20l'%C3%A9glise%20des,%2C%20d'o%C3%B9%20le%20nom.
Disparition des industries fin 20eme siècle :
Il faut savoir que l’autoroute A 2 aurait dû être la remplaçante de la N 2 ( Paris – Bruxelles via , à peu près , le tracé de la N2 , le tronçon Paris Soissons ( devant continuer sur Laon) n’a jamais été réalisé et s’est transformé en A 3 ( Pte de Bagnolet – Roissy) .
Aujourd’hui la N2 est en voie d’être « rapide » , mais l’Avesnois se trouvant sur le contrefort ardennais, avec peut-être d’autres difficultés que je ne connais pas, cela ne se fera pas en 2 jours .
Cela a beaucoup freiné les industries installées depuis les années 50 qui comptaient bien sur cette voie directe vers la capitale, certaines en sont partis.
Pour info le Nord par ce coté a été le 1er producteur de pommes jusqu’aux années 50, d’où des fonderies d’où sortaient des broyeurs et autres machines pour le cidre. St Souplet , ou La Vallée Au Bled dans l’Aisne .
Cette partie du Nord a toujours été oubliée, souvenir d’avoir été surpris d’y trouver du bocage à mon arrivée il y a plus de 30 ans , je ne m’imaginais que des industries textiles, charbon et aciéries. Bonne journée.
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Merci pour ces précisions. J’en retiens notamment que l’Avesnois a été un peu « oublié », ce qui explique en partie la survie du bocage aujourd’hui. Tant mieux si cela préserve des paysages et tout ce qui peut en bénéficier, avec des retombées économiques : mémoire du passé, cadre de vie, tourisme vert, agriculture de qualité, etc. Cela sans oublier les anciennes industries qui, transformées en musées vivants, ont encore enrichi notre visite trop brève. Mais ce fut passionnant. Grâce aux Nordistes !
P.S. Intéressant d’avoir des commentaires de personnes du pays, comme celui de Flavie et le vôtre
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