Par-delà nature et culture, recension critique

Descola pdnetc

La nature n’existe pas comme une sphère de réalités autonomes pour tous les peuples, et ce doit être la tâche de l’anthropologie que de comprendre pourquoi et comment tant de gens rangent dans l’humanité bien des êtres que nous appelons naturels, mais aussi pourquoi et comment il nous a paru nécessaire à nous d’exclure ces entités de notre destinée commune.

Philippe Descola, Leçon inaugurale au Collège de France, 2001

La possibilité même d’un ouvrage comme Par-delà nature et culture serait tributaire et révélatrice, comme le souligne son auteur dans son avant-propos, des interrogations qui commenceraient à lézarder l’édifice dualiste structurant notre vision du monde. Depuis un ou deux siècles, l’Occident moderne rattache les humains aux non humains par des continuités matérielles et les en sépare par l’aptitude culturelle, l’opposition de la nature à la culture constituant le soubassement de notre ontologie. Si l’ouvrage de Descola vise à nous en démontrer la relativité — le naturalisme des modernes n’étant qu’une des manières possibles d’identifier et de classer les existants —, cela ne signifie pas pour autant que nous en soyons sortis ni qu’il le faille. Au demeurant, avant d’aborder cette question, il est peut-être utile de comprendre dans quoi nous sommes entrés et à partir de quels fondements nous produisons une « nature » inconnue sous d’autres latitudes ontologiques.

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La religion, la science et le voile du réel

Voile ndébéle Wikipedia

Voile ndébélé, Afrique du Sud (source Wikipedia)

« Toute notre étude repose sur le postulat que ce sentiment unanime des croyants
de tous les temps ne peut pas être purement illusoire
»

Emile Durkheim

À l’heure où l’on utilise à tour de bras le terme « obscurantisme » pour qualifier le fait religieux, et cela dans la postérité des Lumières en Europe, la curiosité m’a fait remettre la main sur un travail effectué au siècle passé, dans le cadre d’une année préparatoire au doctorat en sociologie. Il s’agit d’une lecture transversale du maître-livre d’Emile Durkheim (un des fondateurs de la sociologie, avec Max Weber), Les formes élémentaires de la vie religieuse, publié en 1912. Le sociologue – fils du rabbin d’Epinal (Moïse Durkheim), qui avait rompu avec le judaïsme, notamment en transgressant un interdit alimentaire –  tente de « dévoiler la cause de la religion à travers l’explication de ses formes supposées les plus élémentaires, les plus originelles ». En d’autres mots, de la désacraliser, de soulever le fameux voile. Selon sa méthode, il l’examine comme « un fait social pouvant être expliqué par d’autres faits sociaux ». Le résultat de son examen minutieux est pour le moins surprenant, et plaide pour son honnêteté intellectuelle et sa lucidité scientifique.

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