
Ville de Haute-Provence à la fin du XIXe siècle
(Archives départementales de la Drôme)
Après la traversée du fleuve, je lui avais trouvé un convoyage partant pour la Drôme à la suite de ma diligence. Il m’aurait été trop cruel de me séparer de ma compagne à Saint-Jean-du-Gard. Outre que sa perte me déchirait le cœur, sans Modestine, m’étais-je dit, je ne pourrais accomplir ma pérégrination vers le « Tibet de Haute-Provence ». Un surnom bien étrange donné par un voyageur mystique à ce bout de terre désolé et proche du ciel. Pensez donc : un village solitaire d’une centaine d’âmes qui se perchait au terme d’une harassante route de graviers et de sables, au-delà d’une étroite gorge propice aux détrousseurs. Ce lieu étrange était à plus d’une journée de marche de la dernière bourgade, située elle-même à quelques miles de la petite ville où nous quittâmes nos compagnons de voyage depuis le Rhône. C’était un nid d’aigle, telle une grappe de maisons blottie sous un château en ruines. Sept-cents habitants y vivaient selon le curé, entassés dans un bourg aux ruelles étroites où déambulaient poules, moutons et chèvres. Modestine et moi y passâmes la nuit, dans une auberge où logeaient des muletiers revenant de ce mystérieux Tibet.
« Hélas, tandis que nous avançons dans la vie, et que nos affaires nous préoccupent de plus en plus, il nous faut travailler même pour nos loisirs. Maintenir les ballots sur un bât contre les rafales glacées du nord n’est pas un grand travail. Mais cette industrie sert à calmer et occuper notre esprit. Quand le présent est si absorbant, qui peut se tracasser de l’avenir ? »
Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes, 1879
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