Un voyage à Kharkiv et Donetsk

Carte topographique de l’Ukraine. Kharkiv est en haut et Donetsk en bas à droite. Toutes deux sur la rive gauche du Dniepr (Source Wikipédia)

L’actualité brûlante n’invite pas aux excursions en Ukraine, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Durant l’été 2006, dans le cadre d’un dossier de La Revue nouvelle consacré à l’Ukraine, j’ai fait le tour du pays, que je connaissais depuis 1991 (notamment Kyiv, Soumy, la Transcarpatie, la Galicie, Odessa et la Crimée). Mon voyage en deux boucles m’a conduit de Kyiv à Lviv, puis de Kyiv à Donetsk, en passant par Chernivtsi, Lviv, Rivne, Poltava et Kharkiv – ainsi que deux villages en Bucovine du nord et en Galicie. Ce récit dans sa totalité a été publié sous le titre « Voyage au pays des deux rives » dans le dossier « Où va l’Ukraine ? » de La Revue nouvelle. C’était après « la Révolution orange » mais avant Euromaïdan et la rétorsion russe de 2014, en Crimée et au Donbass. Dans le contexte actuel de l’invasion visant l’ensemble du pays, je publie ici la partie concernant Kharkiv (seconde ville d’Ukraine aujourd’hui encerclée par les troupes russes qui commettent des crimes de guerre et bombardent des civils) et Donetsk (séparé de facto de l’Ukraine). Je n’ai rien changé au texte, qui reflète ma perception de l’époque que chacun pourra juger, en fonction de l’actualité et de ses connaissances. L’attrait pour l’Europe, en particulier, était beaucoup plus faible à Kharkiv en 2006 qu’aujourd’hui. J’y ai ajouté des images, ainsi que des liens concernant la famine de 1933. (texte écrit en mars 2022 ; la situation a changé depuis, comme le montrent les cartes ci-dessous mises à jour régulièrement)

La Terre des hommes libres

« C’est la plus grande place d’Europe », me disent mes amis de Kharkov (son nom russe, Kharkiv est le nom ukrainien), en oubliant de mentionner la place Rouge. Un subtil journaliste du journal local (Sloboda) et un charmant « barde » (chanteur auteur-compositeur) me font parcourir la ville de long en large depuis deux jours. Et aujourd’hui, justement, c’est le « Jour de l’Europe » sur cette place de la Liberté, le coeur symbolique de cette ancienne capitale de l’Ukraine soviétique (de 1922 à 1934), située à l’est du pays et largement russophone, seconde ville ukrainienne par sa population. La Russie n’est qu’à une quarantaine de kilomètres et la ville fut reliée par chemin de fer à Moscou dès 1869, avant même que Kiev n’ait sa première gare…

Université de Kharkiv (source Wikipédia)

Nous sommes dans une ancienne province nommée Sloboda sous l’Empire, « La terre des hommes libres », où des paysans affranchis étaient chargés de protéger les confins contre les incursions tatares. De nombreux Russes s’implantèrent dans la région dès le XVIIe siècle, bien avant la seconde vague de migration ouvrière vers le Donbass, plus à l’est, lors de la révolution industrielle. Si les deux oblast situés à l’extrême est de l’Ukraine, Donetsk et Lougansk, sont russophones et industriels, ceux de la région de Sloboda (Kharkov, Soumy et Poltava) — où naquit Gogol — sont plus ruraux. Iouchtchenko, originaire de Soumy, arriva d’ailleurs en tête lors des élections présidentielles dans les oblast de Poltava et Soumy, et Ianoukovitch dans celui de Kharkov.

Fait moins connu, la ville fut aussi le berceau du mouvement national ukrainien au début du XIXe siècle, avant la Galicie. Lieu d’implantation d’une des premières universités fondée en 1805 (ce qui explique sa tradition scientifique), elle vit naitre un mouvement romantique composé d’écrivains et d’académiques qui valorisèrent (et mythifièrent un peu) la vieille culture ukrainienne, menacée par une présence russe de plus en plus hégémonique. Paradoxalement (mais on n’est pas à un paradoxe près en Ukraine), le mouvement fut encouragé par la Russie pour contrer l’influence polonaise à l’ouest du pays.

Kharkov fut une victime indirecte de la grande famine de 1932-1933. Des milliers de paysans des campagnes avoisinantes (dont de nombreux enfants), affamés par la dékoulakisation et les réquisitions criminelles du régime stalinien, se réfugièrent dans la ville et moururent de faim dans ses rues. Staline, qui aimait les villes propres[1], décida de transférer à nouveau la capitale de l’Ukraine à Kiev, un an après la famine.

Paysans mourrant de faim dans les rues de Kharkov-Kharkiv en 1933
(source Wikipédia)

La ville de Kharkov devint ensuite, dans la seconde période soviétique, « le cerveau » de la région, connue pour ses nombreuses universités (près de 300 000 étudiants, dont de nombreux Chinois) et centres de recherche, notamment en matière nucléaire. Bill Gates, dit-on, y fit concevoir la version ukrainienne de Windows.

Sur la place de la Liberté, dominée par une pharaonique statue de Lénine qui se découpe sur un beau bâtiment constructiviste (« Gosprom ») et des immeubles staliniens, des étudiants écoutent les harangues d’un homme politique local qui leur crie de vagues promesses sur l’Europe. Des dizaines de drapeaux tournoient en cercle au pied du podium. Des activistes stipendiés par Georges Soros ? Des protestataires pro-russes ? À y voir de plus près, les étendards révèlent une identité nettement plus prosaïque : Nivea, Metro Cash, Ukrainian Mobile Company… Quant aux jeunes, encadrés par de nombreux policiers, ils semblent être plutôt venus pour le concert de rock que pour le discours d’un représentant du Parlement européen.

Patriarcats et ours en peluche

Difficile de se faire une idée simple de Kharkov, comme de l’Ukraine en général d’ailleurs, car la première impression est souvent démentie par la seconde. Cité aimable et arborée où la gentillesse ukraïno-russe — mélange de candeur, d’hospitalité et de rudesse — côtoie, comme ailleurs, l’indifférence arrogante des nouveaux riches et l’apathie des vendeurs dans les anciens magasins d’État. Lénine, Marx et Rosa Luxembourg veillent autant sur la cité traversée par un métro aux stations somptueuses (certaines semblent inspirées par Paul Klee) que les publicités commerciales qui envahissent le moindre espace. Le culte de la science se mélange à une religiosité parfois superstitieuse, voire mystique-ésotérique.

Dans une ruelle du vieux centre, la synagogue a été reconstruite avec des capitaux américains et relève du mouvement Loubavitch ; un peu plus loin, un prêtre catholique asperge d’eau bénite les voitures neuves à la sortie de la messe. Quant à Iar (« Iaroslav »), le fils de mon hôte journaliste qui vit dans une vieille maison au bord de la ruine, il écoute un rap d’enfer sur son ordinateur en dessous d’un crucifix, après m’avoir vanté les dorures baroques de la philharmonie. Justement, le journaliste a obtenu les clés du clocher de la cathédrale Ouspensky, située à quelques encablures d’un monastère où des moines noirs et barbus vendent du pain béni, et de deux églises parallèles, gérées par les frères ennemis de l’orthodoxie ukrainienne : le patriarcat de Moscou et celui de Kiev, qui s’excommunient réciproquement.

Place de la liberté et immeubles Gosprom à Kharkiv (source Wikipédia)

Outre le journaliste, le barde et sa femme, deux étudiantes se joignent à l’expédition : une Ukrainienne et une Chinoise qui se tiennent tendrement par la main (l’homosexualité est un sujet tabou en Ukraine, m’a dit Anastasia à Rivne). La Chinoise vient de Suzhou, une bourgade au sud de Shanghai, près du Grand Canal. Elle fait partie du contingent que l’Empire du Milieu envoie à Kharkov pour y grappiller un peu de science soviétique (l’enseignement se donne toujours en russe). Mais, me dit Iar, « ils parlent à peine notre langue et restent entre eux », ce qui ne semble pourtant pas le cas de ma voisine.

L’ascension du clocher n’est pas une mince affaire. Le journaliste qui fume ses deux paquets quotidiens s’enquiert aimablement de notre santé à chaque palier, la Chinoise s’agrippe à sa copine, le barde et sa femme s’émerveillent en soufflant. La ville s’étend de plus en plus loin au fur et à mesure que nous gagnons de l’altitude. À l’approche du sommet, un bâtiment stalinien surmonté d’une étoile mord lentement la poussière ; le vieux clocher est plus haut que le monstre soviétique, ce qui semble amuser tout le monde. Au loin et en contrebas, on aperçoit la gare couleur crème construite par la Russie tsariste en 1869.

Sur le quai du train à destination de Moscou, de nombreuses babouchkas en voyage d’affaires ont posé leurs sacs débordant de marchandises : samovars colorés, ours en peluche, services à thé scintillant au soleil. Dans la salle des guichets, je me retrouve dans un espace réservé aux voyageurs étrangers, comme à l’époque soviétique. Deux Africains tirés à quatre épingles, portable luminescent à l’oreille, se rendent à Moscou (qu’ils soient prudents…) et parlent un russe joliment arrondi. Après avoir acheté mon billet pour Donetsk, la ville de Ianoukovitch, je jette un coup d’oeil sur le document qui n’a pas le format habituel. Il s’agit d’un livret à coupons en trois langues délivré par les « Chemins de fer de l’URSS ». Quinze ans après la fin de la patrie du socialisme, doit-on imputer cette survivance à la seule abondance des stocks ?

Station de métro à Kharkiv (source site de la ville de Kharkiv)

La ville d’acier

Fatigué par une dizaine d’heures de train depuis Kharkov, par les sonneries de portables qui donnent un air de star wars à ce vieux wagon qui se traine dans la campagne (terre noire, maisons grises, chefs de gare au garde-à-vous le long des voies), je somnole sur un matelas que m’a glissé l’accompagnateur du train. En face de moi, une jeune femme lit la version russe de Cosmopolitan entre deux sms ; une vierge à l’enfant se balance d’un sein à l’autre au bout d’une fine chaine d’argent. Sur une petite route qui longe la voie ferrée, une camionnette orange cahotante, sans doute ramenée d’Allemagne, affiche cette enseigne surréaliste : « Kartoffeln ? Natürlich von Wolff ! »

Vers le soir, le paysage a changé : ferrailles tordues, wagons rouillés, usines anthracite d’où partent des tuyaux qui enjambent des chenaux saumâtres… Au loin, une aciérie rougeoie par saccades dans la nuit qui tombe. Même l’odeur s’en mêle : les fragrances sucrées de la houille pénètrent par la fenêtre. À l’approche de Donetsk, la statue argentée d’un soldat soviétique éclairée par le soleil mourant pointe une mitraillette vers un terril. Bienvenue dans la patrie de Stakhanov, mineur d’élite du Donbass, le bassin du Don entre la mer d’Azov et Rostov.

Vue panoramique de Donetsk (source Wikipédia)

Mon hôte, également barde (je navigue dans le réseau musical de Sacha), ne ressemble en rien au gentil poète de Kharkov. Il m’accueille au saut du wagon avec son chauffeur et garde du corps au nez camus, les deux compères en sueur ayant visiblement éclusé de la vodka (pour fêter « une bonne affaire », comme je l’apprendrai). La Subaru climatisée file néanmoins sans embardées sur des avenues rectilignes ; le téléphone portable clignote dans la nuit noire. Alors que nous nous arrêtons devant l’hôtel Atlas (la femme du barde est malade et il préfère me loger à l’hôtel), le chauffeur ouvre le coffre et en brandit triomphalement un grand drapeau rouge avec l’effigie de Staline, l’homme d’acier. Donetsk se nommait Stalino après s’être appelé Yuzovka (« le petit Hugues »), du nom d’un ingénieur gallois, John Hugues, qui y développa l’industrie minière et métallurgique à la demande de Nicolas II. Stalino n’avait cependant rien à voir avec le petit père des peuples, mais bien avec l’acier que l’on produisait à Yuzovka (c’est donc l’équivalent russe du « Stahlstad » de Jules Verne dans Les Cinq-cents millions de la Begum). La déstalinisation ne s’est pas embarrassée d’un tel détail et la ville se mit à porter le nom moins risqué d’une paisible rivière : Donetsk, « le petit Don », qui se jette dans le Don près de Rostov en Russie.

Yuzovka , future Stalino puis Donetsk, en 1912 (source Wikipédia)

Dans cette ville charbonnière au plan en damier, jumelée avec Charleroi, l’hôtel Atlas est situé non loin du stade de football « Shakthior » (« le mineur »), présidé par l’oligarque Akhmetov. Le barde, qui est aussi businessman comme on peut l’être ici, tend négligemment quatre-cents grivnas (l’équivalent de septante euros) extraits d’un porte-feuille bourré de billets à la réceptionniste intimidée. Après les appartements minuscules de mes amis et les fermes sans eau courante de Galicie, la chambre immaculée avec salle de bain « desinfected » de l’hôtel Atlas est un coup de massue. Mais, heureusement, la fenêtre protégée d’une moustiquaire laisse passer le babil des grenouilles qui colloquent au pied des terrils…

Ici, les rues arborées et fleuries de roses portent les noms de Karl Marx, Lénine, Komsomol Rosa Luxembourg et même Dzerjinski (l’aimable fondateur de la Tchéka). Elles se coupent à angle droit comme dans une ville de western. Les cowboys ne manquent d’ailleurs pas, à commencer par les puissants oligarques qui ne mégotent pas sur l’usage des pétoires. Outre Ianoukovitch qui est le patron local, le clan de Donetsk qui contrôle toute la chaine de production de l’acier, comprend notamment l’homme le plus riche d’Ukraine, Rinat Akhmetov (celui du club de football), qui pèse plus de trois milliards de dollars. Cet ancien mineur d’origine tatare, qui a fait fortune dans les premières années de privatisations, est le grand financier du Parti des Régions, mais aussi de la communauté tatare. Mélange intime de nostalgie soviétique et de capitalisme sauvage[2], voilà une face très instructive de Donetsk. Pas la seule, bien sûr…

Les palmiers de Babylone

Un autre ancien mineur, moins fortuné, mais sans doute plus cultivé, m’accompagne vers le sommet d’un terril d’où la vue sur Donetsk est imprenable. Il est monté à bord de la Subaru en même temps que Iouri, professeur d’université et spécialiste réputé de Boulgakov. Le chauffeur du barde, qui nous a laissé sa voiture, tente de trouver un chemin entre des centaines de garages rouillés, derrière le stade de football où le père d’Akhmetov a été tué à l’explosif avec un paquet de supporteurs. On finit par dénicher la sente qui mène au terril.

L’ancien mineur parle un anglais américanisé : il est « visiting professor » tous les étés dans l’Illinois, spécialiste de l’histoire de la Russie, musicologue et professeur à l’université de Donetsk. Simplement, pour nourrir sa famille, il valait mieux être mineur. Une hanche brisée par huit-cents mètres de fond l’a ramené à ses études. Nous échangeons quelques propos sur l’improbable identité ukrainienne en crapahutant dans les cendres noires. Le sommet n’est pas loin, mais la température est torride. Le spécialiste de Boulgakov, moins alerte, peine à suivre. En haut du terril, Donetsk se découvre, vaste étendue d’immeubles peu élevés (le sol est un gruyère trop miné pour supporter les grands ensembles), de terrils et d’usines. Une grande villa neuve avec piscine et jardin, entourée de hauts murs, apparait au pied du terril.

Centre ville de Donetsk (source Wikipédia)

« Tu vois, me dit le barde-businessman qui nous a invités dans un restaurant huppé du centre-ville — air conditionné, dorures, fauteuils couverts de tissus immaculé —, ici c’est Babylone. Moi-même je suis un Juif né à Sakhaline en Extrême-Orient soviétique, Iouri est russe et Oleksiy, l’ancien mineur, un arrière- petit-neveu de la femme de Lénine, Nadejda Kroupskaïa. Il y a des Tatars, des Juifs, des Moldaves, des Arméniens, des Géorgiens et bien entendu des Russes. C’est une ville cosmopolite, industrielle, soviétique. » Pas question, donc, de prononcer les noms ukrainiens « nationalistes » de Lviv, Tchernivtsi ou Rivne : mon hôte me corrige sans cesse avec autorité : « Lvov, Tchernovtsy, Rivno ! » Le symbole de la ville, c’est le palmier en acier, dont Ianoukovitch a offert un exemplaire à Lviv-Lvov-Lwow-Lemberg où il trône devant la gare. Oleksiy, en intellectuel plus modéré, réclame la reconnaissance de la langue russe, comme prévu dans la Convention européenne sur les minorités.

Le barde nous fait visiter un hôtel qui semble lui appartenir (le prix des chambres est effarant au regard du niveau de vie moyen), inspiré de Cervantès, avec décor hispanique, Dulcinea locales et chambres personnalisées. Nous passons ensuite dans un magasin de statuettes en acier gardé par un Don Quichotte bien trempé : des fleurs, des animaux, des mineurs et, bien entendu, des palmiers. Mais je ne suis guère tenté d’emporter une statuette en fonte dans mes bagages. « Un palmier d’acier comme symbole de Babylone-Donetsk, c’est quand même bien pensé », dis-je à mes amis de deux jours qui n’avaient jamais fait le rapport.

Avant de reprendre le train de nuit pour Kiev, j’assiste à une soirée de poésie dans le « club des bardes » financée par mon hôte. Iouri est l’organisateur. Nous avons longuement parlé de Bounine qui a voyagé au siècle passé dans le nord de l’oblast, près de la laure[3] de Sviatogorskaya (« la montagne sainte »), un des hauts lieux de l’orthodoxie dans ces confins. Mon interlocuteur semble d’un autre monde que celui des « affaires », même si sa revue est financée par le barde. Les participants s’assemblent dans la salle. Une poétesse un peu éthérée récite des vers accompagnés de sa guitare. Iouri veille au chahut qui menace et dirige les débats. C’est très sérieux, un peu scolaire, mais plutôt touchant. Une autre face de Donetsk. Le chauffeur me conduit à la gare et m’installe dans le compartiment. À peine assis, le barde me téléphone pour s’excuser de ne pas être à la gare, me souhaiter bon voyage et m’inviter à revenir pour un plus long séjour, dans cette belle ville de l’acier et des roses.

Bernard De Backer
Extrait de l’article « Voyage au pays des deux rives« , La Revue nouvelle, octobre 2006
Dossier « Où va l’Ukraine ?« 

11 mars 2022. Aux origines de la guerre en Ukraine, vingt ans de propagande russe dans le Donbass. Le monument en tête de l’article ressemble à celui que j’ai vu en 2006. 7 mars 2022. Chroniques de Kharkiv, 7 mars : « Les masques tombent », publié sur Desk Russie (site d’information excellent). A Kharkiv, en Ukraine, « la ville dans laquelle je vivais n’existe plus ». « Le sociologue Denys Kobzin habite dans la deuxième ville d’Ukraine, pilonnée depuis plusieurs jours par des bombardements russes », dans Le Monde de ce jour. Dans une interview au « Monde », il décrit un centre-ville « presque en ruine ». Le Monde du 3 mars 2022. Guerre en Ukraine : Volodymyr Zelensky, le visage de la résistance de tout un peuple. « Le matin même, la deuxième ville de son pays, Kharkiv, a été violemment bombardée. Des quartiers résidentiels ont été pris pour cible. Des civils sont morts. Le cœur de la ville a lui aussi été frappé. « Vous vous rendez compte ? Deux missiles se sont abattus sur la place de la Liberté. Des dizaines de personnes ont été tuées. Voilà le prix à payer pour la liberté. » Le président balaye la feuille qu’il a sous les yeux. « Je n’ai pas un discours écrit à l’avance. On n’en est plus là aujourd’hui. Des gens meurent tous les jours, c’est ça la réalité. » Dans les écouteurs, la voix du traducteur se brise. Dans la nuit de mardi à mercredi 2 mars, des troupes aéroportées russes ont débarqué à Kharkiv, selon un communiqué de l’armée ukrainienne. » 2 mars 2022. L’armée russe a bombardé l’administration régionale de Kharkiv, en face de la place de la Liberté, ainsi qu’un hôpital et des immeubles civils. Des troupes aéroportées russes tentent de s’emparer de la ville, car la « population frère » (et majoritairement russophone), opprimée par un pouvoir « néo-nazi et génocidaire », ne les accueille pas à bras ouverts.


[1] On ne peut sur ce point que recommander la lecture du dernier livre de Nicolas Werth, L’ile aux cannibales. 1933, une déportation-abandon en Sibérie, Perrin, 2006.

[2] Dans le vol du retour, une femme d’affaires belge visitant régulièrement la région pour une firme londonienne de commerce des métaux me dira quelques mots des moeurs commerciales du far-east ukrainien. Son voyage était notamment motivé par une tentative de récupération de mille tonnes de cuivre volées à Odessa. Un des acquis de la Révolution orange est la liberté de la presse, et l’on parle beaucoup plus ouvertement des oligarques (clans de Donetsk, Dniepropetrovsk, Kiev…) et de leurs affaires qu’auparavant.

[3] Le terme « laure » (lavra en russe) désigne un monastère de premier rang dans l’orthodoxie.

Sur la famine de 1933 en Ukraine

Une ville entre chien et loup
(avec des information sur Vaugan Gareth Jones, le journaliste gallois qui découvrit et écrivit sur la famine avant d’être assassiné en Mandchourie. Il est le héros du film L’ombre de Staline d’Agnieszka Holland. Jones avait un lien familial particulier avec Donetsk)

Holodomor, les enjeux d’une reconnaissance tardive

Recension de Terres de sang, de Timothy Snyder

Famine rouge. La guerre de Staline en Ukraine, Anne Applebaum, Grasset 2019

6 réflexions sur “Un voyage à Kharkiv et Donetsk

  1. Merci Bernard, à nouveau un superbe récit.
    Une fois que j’aurai été pulvérisé par le nouveau conflit, les éventuels survivants pourront dire que je suis mort moins idiot…,

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    1. Tu ne crois pas si bien dire. Poutine et ses affidés (dont Lavrov) font du chantage à l’arme nucléaire pour s’emparer de l’Ukraine. Ianoukovitch, celui qui a été chasssé par Euromaïdan, semble être prêt à rempiler et se trouverait actuellement en Biélorussie. Que sommes-nous prêt à sacrifier pour la défense de l’Ukraine, qui est aussi la nôtre ?

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  2. Cher Bernard,

    Je viens seulement de lire ton article sur Kharkiv et Donetsk car ton mail s’était perdu dans la poubelle de mon iPhone du fait d’un geste maladroit de ma part. J’ai pu le récupérer. Merci pour cet aperçu riche en couleurs , odeurs, sonorités, évocations, bruits, saveurs, visions , …bref, très vivant d’une malheureuse Ukraine détruite par la folie de Poutine. Il y a la grande histoire que tu connais bien mieux que moi, infiltrée de singularités paranoïaques comme Poutine, Staline et Hitler qui en modifient le cours . Cela donne à réfléchir : l’autodestructivité des humains est la question que nous avons tous à affronter. Amitiés,

    Etienne

    >

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    1. Merci pour ta lecture et ton commentaire, Etienne, sur cet article « sauvé de la poubelle ». Je ne crois pas du tout qu’il s’agisse de « la folie d’un homme », pas davantage, d’ailleurs, dans les cas de Hitler ou de Staline (un digne élève de Lénine). Ce sont des déterminants socio-historiques, culturels et idéologiques qui ne gagnent pas à être ramenés à de la psychopathologie, même si tu écris « infiltrée de singularités paranoïaques ». Poutine s’inscrit dans l’histoire longue de la Russie, notamment l’autocratie ou le patrimonialisme, ainsi que la visée impériale, que la période soviétique n’a fait que prolonger. Générer ce type de pouvoir est aussi le fruit d’une tradition historique, d’un « chemin parcouru », et d’une confrontation à la modernité démocratique dans le cas de Poutine. L’Ukraine en voie de démocratisation représente pour lui un dange similaire à la république de Novgorod pour Ivan IV, dit « Le Terrible ». J’ai devéloppé cela dans de nombreux articles sur ce site. Voir notamment le compte-rendu du livre de Claudio Ingerflom « Le tsar c’est moi« . Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’une fatalité. A bientôt !

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