
Couverture du dernier livre de Marcel Gauchet
(source Éditions Gallimard)
Si une certaine vigilance géopolitique et géoculturelle nous enseigne depuis quelques années qu’il y a bien une crise de la démocratie dans le monde, ou plus exactement un rejet croissant de celle-ci par sa partie non occidentale (le « Sud global »), nous sentons à divers signes qu’elle se situe également à l’intérieur de ce modèle politique et sociétal. C’est à cette crise dans la démocratie que s’attelle le dernier livre de Marcel Gauchet, Le nœud démocratique (2024). Le modèle analytique de l’auteur, développé dès Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion (1985), n’est pas facile à appréhender par ceux qui ne sont pas familiers de son œuvre. Il est profondément contre-intuitif et bouscule notre habitus culturel occidental universaliste, mâtiné d’un marxisme sommaire. C’est que, pour Gauchet, l’infrastructure qui pilote en sous-main le monde humain-social et ses évolutions n’est pas l’économique, mais bien le symbolique : la carte du croyable, du pensable et du souhaitable déterminée par divers ancrages religieux (hétéronome, selon Kant) ou postérieure à ceux-ci (autonome), en conservant un lien « à reculons » avec la structuration hétéronome - source de formations de compromis, dont les régimes totalitaires du XXe siècle sont les exemples les plus éclatants. Comment cette lecture structurale de l’histoire nous permet-elle de saisir la crise dans la démocratie ?
« En dehors d’une étroite élite, les sociétés vivent pour leur grande masse dans un cercle de références internes hérité de leur parcours propre. Elles doivent vivre désormais en fonction d’un système de références qui tient à leur coexistence externe, comme si leur passé n’avait plus d’importance. (…) Une bonne part de la querelle multiforme des « identités » sort de là. (…) Car ce qui se trouve disqualifié de la sorte, effacé, voire refoulé, n’en continue pas moins d’habiter les esprits et de réclamer diversement sa part »
« Or l’autonomie, ce ne peut être s’enfermer dans un autisme cosmique – se gouverner soi-même dans l’indifférence à ce qui n’est pas soi, qui se trouve être ce qui conditionne son existence. Le problème écologique ajoute une dimension supplémentaire au problème général en lui adjoignant l’exigence d’une maîtrise réfléchie de l’insertion dans cet Autre dont nous sommes une partie en même temps qu’un mystérieux corps étranger. »
Marcel Gauchet, Le nœud démocratique
Ce dernier livre de Gauchet se situe explicitement dans le prolongement de la grille d’analyse programmatique de son œuvre, argumentée et documentée dès le Désenchantement du monde (1985) et développée jusqu’au Nouveau monde (2017), le dernier tome de l’Avènement de la démocratie. Soit le mouvement multimillénaire, qui va de l’emprise totale de l’hétéronomie religieuse sur la structuration politique des sociétés humaines à leur lente et tumultueuse sortie de cette emprise. Au final, comme l’indique la citation que nous avons placée en épigraphe, c’est une autre altérité qui surgit, celle du cosmos non humain « dont nous sommes une partie en même temps qu’un mystérieux corps étranger ».
Ce centrage conclusif sur « le problème écologique » est d’une certaine manière surprenant, l’auteur n’ayant guère accordé d’importance explicite à cette question (Pierre Nora, directeur de la revue Le Débat, dont Gauchet était rédacteur en chef, l’avait regretté en ce qui concerne la revue, lorsque celle-ci avait cessé de paraître). Nous n’avions trouvé il y a quelques années qu’un seul texte sur l’écologie, très court et de style plutôt polémique : « Sous l’amour de la nature la haine de l’homme » (Le Débat, mai-août 1990). Mais il convient d’ajouter, nous y reviendrons, que la question des relations homme-nature est très présente dans son œuvre, à commencer par Le désenchantement du monde. La « sortie de la religion » s’accompagne en effet d’une « sortie de la nature », de son objectivation scientifique (ce que Descola appelle le « naturalisme »), soit d’un « d’autisme cosmique » qui peut déboucher sur une « indifférence à ce qui n’est pas soi » mais qui néanmoins « conditionne son existence ». Cette dernière, nous le savons et le vivons chaque jour davantage, est gravement mise en péril par les conséquences de l’autisme du « mystérieux corps étranger » que nous sommes…
Mais quelle crise ?
En toute bonne méthode, et nous le suivons volontiers sur ce point, l’auteur commence par identifier l’objet que son livre va tenter d’analyser. Il va le faire de manière descriptive avant d’en dégager les ressorts profonds dans la suite de son ouvrage. Ce chapitre introductif, titré de « De la crise totalitaire à la crise néolibérale », contient déjà une clé comparative et interprétative. Dans l’entre-deux de ces deux crises, nous (Occidentaux) avons vécu dans la dernière partie du XXe siècle, après 1989, en pensant que la démocratie était « l’horizon indépassable de notre temps », voire que nous étions arrivés à la fin de l’histoire (Hegel-Marx-Kojève-Fukuyama) et que ce modèle politique ne pouvait que se répandre dans le monde par contamination universelle.
La seule chose qui nous restait à accomplir comme œuvre politique était de la parfaire, de « démocratiser la démocratie », voire de la « radicaliser ». Et, bien entendu, de la répandre dans « le reste » du monde qui ne demandait qu’à l’adopter. En dehors des derniers groupes de réactionnaires obtus ou de révolutionnaires messianiques, quelques esprits chagrins, dont Gauchet lui-même dans La démocratie contre elle-même, avaient cependant perçu certaines de ses apories internes. Quant à l’externe (le reste du monde), on allait progressivement se rendre compte que son appétence supposée n’était pas sans réticences, et que c’est plutôt « le Choc des civilisations » qui pointait le bout de son nez. Nous passerons cependant ici sur ce second aspect, qui n’est pas l’objet du livre et que nous avons déjà développé ailleurs, pour nous centrer sur la crise interne aux régimes démocratiques occidentaux (Gauchet ne parle malheureusement pas du Japon, de Taïwan ou de la Corée du Sud).
En interne, donc, l’on parlait d’ « avancées » de la démocratie plutôt que de crise, cette dernière se manifestant à bas bruit. Comme l’écrit Gauchet, « Il a fallu la poussée de la protestation dite « populiste » pour ébranler l’optimisme officiel et imposer le constat que quelque chose, décidément, ne tournait pas rond dans la maison démocratie ». Il ne s’agissait plus, ajoute l’auteur, d’une « pathologie marginale », le « sursaut d’une nostalgie malsaine pour les « sociétés fermées » du passé aux dépens de la « société ouverte » ». Il s’agirait, au contraire, d’une « guerre sourde, mais décisive, portant sur la définition même de démocratie ». Au-delà d’une opposition entre « les élites » et « les peuples », le conflit opposerait « deux visions de la nature et des finalités de nos régimes qui se rattachent à leur source même » (Gauchet rejoint ici l’analyse de Yasha Mounk dans Le peuple contre la démocratie, 2018, mais en inscrivant « plus résolument la protestation populiste dans le cadre démocratique »).

Donald Trump II
(Photo officielle)
Pour le dire rapidement en reprenant les termes de Marcel Gauchet sur l’évolution de nos sociétés : « Sa pente dominante met en avant sa composition « libérale » jusqu’à une hypertrophie libertaire, aux dépens de la composante « démocratique ». Une mise à l’écart qui provoque en retour la réactivation, voire la radicalisation de cette dernière, au point de lui faire oublier, à l’occasion, sa solidarité avec la première, en la jetant dans une embardée autoritaire ». En termes succincts, mais parlants : « l’idéal libéral tend à devenir anti-démocratique, ce qui suscite une remobilisation de l’idéal démocratique qui tend à le rendre illibéral » (Gauchet, op. cit. – toutes les citations qui suivent, sauf mention contraire, proviennent de la même source). Le droit des individus contre la souveraineté populaire, en quelque sorte. Ou les libertés personnelles face au pouvoir des « citoyens en corps » (« Anywhere contre somewhere » selon David Goodhart). Voilà le nœud dont il est question dans ce livre, à savoir la nécessaire mais difficile articulation entre ces deux éléments de la démocratie qui se défont et se disqualifient mutuellement dans une « nouvelle guerre culturelle ». Ce qui n’empêche des leaders populistes d’extrême droite ou gauche d’appartenir à l’élite « anywhere », telle Alice Weidel candidate de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) pour la chancellerie allemande en 2025.

Caricature d’un leader populiste américain avalant le parti démocrate
Le People’s party du dix-neuvième siècle était rural et périphérique
(1896, source Wikipédia)
Un dernier mot avant d’entrer dans le cœur de l’analyse. Pour Gauchet, l’explication économique de cette opposition entre « libéraux globaux » (anywhere) et « populistes locaux » (somewhere) est trompeuse. Son livre affiche pourtant le sous-titre « Aux origines de la crise néolibérale ». Sans doute, mais le terme néo-libéral est pris dans une acception très large qui dépasse le champ économique et concerne toutes les libertés individuelles en extension. Et, d’autre part, sans nier nullement les facteurs et les ravages de l’économie néo-libérale mondialisée proprement dite, l’auteur considère qu’il s’agit là d’une conséquence et non d’une cause. En d’autres mots : que la prévalence de l’économique est un écran (le premier chapitre est d’ailleurs titré « Traverser l’écran économique ») qui masque les causes profondes qui ont permis d’accorder une telle place centrale à la dimension économique (voir aussi Piron, 2018).
Nous retrouvons ici sa matrice analytique faisant du symbolique-culturel l’infrastructure déterminante profonde des pratiques sociales et des sociétés humaines (point commun avec Philippe Descola, malgré leurs oppositions)[1]. L’évolution économique est donc un effet avant d’être une cause. Comme Gauchet l’exprime en fin de son introduction, « cette évolution fait ressortir en particulier le rôle d’une dimension souterraine de l’existence des sociétés que l’on peut appeler leur mode de structuration. C’est en elle que se situe la clé de la crise actuelle (…) Son rôle déterminant est l’objet principal de ce livre. »
De l’effet à la cause
Capitalisme, libéralisme, mondialisation : les causes économiques de la crise des démocraties occidentales tombent sous le sens. Mais pas pour Gauchet, qui reconnaît évidemment leurs impacts massifs dans différents domaines de la vie sociale (inégalités, entreprises géantes à l’échelle globale modifiant les rapports de force avec les États face à « la loi des marchés mondiaux », mouvements migratoires croissants constituant des flux mal contrôlables, retombées de la « réticulation numérique »…). Ce sont là sans aucun doute des leviers puissants de la sécession culturelle des « masses » d’avec les « élites ». D’ailleurs, la « protestation populiste » y puise ses principaux ressorts : « égalité, souveraineté, autorité, identité ». Il s’agirait dès lors de retrouver un « abri national » pour contrôler démocratiquement les effets délétères de la mondialisation néolibérale.
Mais pour l’auteur, « il s’agit de se déprendre de cette explication économiciste « au moment où les circonstances lui confèrent un crédit écrasant », « d’expliquer la place accordée à l’économie par le tout social, avec ses effets en retour, au lieu de vouloir expliquer le tout par l’économie ». En d’autres termes, il est nécessaire de dépouiller cette « entité spectrale » de capitalisme mondialisé du « pouvoir magique de répondre à toutes les questions ». Il s’agit selon Gauchet d’une « illusion d’optique » dont il importe de comprendre les ressorts, car le capitalisme mondialisé n’est pas un phénomène sui generis. Il s’agit d’une « élection et non d’un coup d’État ».
En d’autres mots, ce sont les transformations de la structuration sociale dans la foulée de la « sortie de la religion » (soit de la « fondation du social à l’extérieur de lui-même », selon Piron, 2018) comme principe organisateur des sociétés européennes qui ont progressivement accordé une telle place à l’économie (et non l’inverse). Gauchet argumente longuement cette partie initiale de son livre, et nous résumerons cela en quelques phrases. C’est le basculement d’une dépendance hétéronome (religieuse) au passé fondateur vers l’invention démocratique (autonome) de l’avenir « qui délègue l’invention du futur à l’activisme technique et marchand ». Les notions de « progrès », « émancipation », « croissance » y trouvent leurs sources, et l’échec de la prophétie économiciste marxiste et du projet communiste d’un « avenir radieux » ont laissé le champ libre au capitalisme néolibéral.
Ajoutons par ailleurs – point capital – que la notion de « marché » dépasse de très loin la seule sphère économique. Il s’agit plus largement, issu du lent basculement vers la structuration autonome de nos sociétés, du modèle « d’une coordination horizontale automatique des actions individuelles, sans maître pour l’imposer d’en haut ». Ce modèle touche de nombreux autres secteurs de l’activité sociale-humaine, de l’identité individuelle (notamment familiale, et de genre) au champ artistique et religieux. D’où la conjonction, au sein de la « protestation populiste » (y compris dans l’est de l’Europe), de revendications économiques nationalistes et anti-immigration avec le rejet, pour faire court, du « wokisme » et du « gauchisme culturel ». L’écologie politique en fait les frais de manière associée. Le trumpisme s’en nourrit.
Droits des individus et supports sociaux de ceux-ci
Une lecture simpliste, mais fréquente, chez de nombreux auteurs sans connaissances historiques et sociologiques, consiste à penser l’individualisation des sociétés occidentales comme une sorte d’émancipation « ex machina » de l’individu autonome du carcan social des sociétés prémodernes[2]. Rien n’est évidemment plus faux, l’individu en question, en même temps qu’il s’est dégagé des soutiens et emprises traditionnels, se trouve très largement soutenu par un « état social » et ses diverses composantes : juridiques, éducatives, assurantielles (santé, chômage, etc.), politiques, économiques (droits individuels, retraite…), etc. L’injonction d’être « autonome » est un prescrit social, soutenu par une vaste couverture de dispositifs sans lesquels il ne tiendrait pas.
Bien entendu, la montée en puissance du néolibéralisme mondialisé peut remettre ces soutiens collectifs de l’individu en danger (c’est le programme politique de certains leaders politiques ultra-libéraux, notamment en Argentine), d’où l’alliage à première vue paradoxal de la « protestation populiste » nationaliste et de la défense de ces droits individuels. Mais, souligne Gauchet, le néolibéralisme lato sensu a lui aussi besoin de ce socle socio-politique pour exister comme « sociétés des individus », tout en récusant son principe.
Le populisme, écrit l’auteur, « accompagne la démocratie comme son ombre », dans la mesure où l’affirmation de la souveraineté du peuple est posée en principe de la démocratie (comme nous l’avions écrit en 2018 dans « Populisme, le Parti pour le tout » au titre volontairement à double sens). Et il y a « le peuple en bloc » (Vlaamse Blok, Rassemblement national, Les vrais Finlandais, Make America Great Again, etc.) et « le peuple en détail » (partis démocratiques libéraux) selon l’expression de Benjamin Constant. La menace d’une « dissolution dans le bain global » et l’individualisme fait évidemment ressurgir le besoin d’une appartenance collective forte et délimitée dans l’espace. Pour Gauchet la leçon est claire : la protestation populiste « est une réaction à l’évolution de la démocratie d’inspiration néolibérale qui valorise les droits individuels dans leur dimension privée aux dépens de la souveraineté populaire, une révolte contre les retombées sociales et politiques de cette évolution ». Ce qui conduit à l’objet du livre, à savoir les raisons profondes de l’inflexion néolibérale et de la crise associée. Ce qui ne peut se faire que sur le temps long.
Brève histoire d’un long basculement
Les trois chapitres suivants du livre retracent de manière synthétique le cheminement historique de « la structuration hétéronome à la structuration autonome » (soit l’avènement de la démocratie), ensuite les trois expressions politiques de la démocratie naissante (« conservatisme, libéralisme, socialisme ») puis, enfin, « la décantation de la structuration autonome ». Centrons-nous brièvement sur l’essentiel de ces trois chapitres avant de détailler le dernier : « Comment la structuration autonome divise et fait crise ».

Lit de Justice de Vendôme en présence du roi Charles VII
enluminure de Jean Fouquet, 1459
(source Wikipédia)
Au cours de son développement, outre le thème bien connu de « la sortie de la religion » des sociétés humaines, leur tumultueux passage d’une structuration sociale hétéronome (99 % de la durée de l’histoire humaine, écrit Gauchet) à une structuration sociale autonome (démocratique, qui se conçoit comme construite par elle-même et non plus comme obéissant aux lois d’une Altérité extérieure à l’humanité), il y a le constat que « la religion a laissé une empreinte déterminante tant sur les formes d’organisation collective que sur les façons de la concevoir ». Ce que Gauchet a résumé dans une belle image : « les sociétés humaines sortent de l’hétéronomie à reculons » (dans La condition historique, 2003). Il ne s’agit donc pas d’une rupture brutale d’un ordre avec un autre, mais d’un lent processus passant par de nombreuses formes de compromis entre les deux. Les totalitarismes du siècle passé et leurs « ambitions du définitif » en sont une expression paroxystique.
Soulignons que cette soumission à l’Autre sacral produisait le Un des hommes, ce que l’on voit également à l’œuvre de manière terrifiante dans les régimes totalitaires. Par conséquent, la sortie de cette structuration religieuse ou des religions séculières (les Lois de l’Histoire ou de la Race dans ce dernier cas) fragmente et dissout ce Un. Elle produit une perte, ainsi qu’une exclusion de l’ordre cosmique dans laquelle l’humanité était incluse (voir « l’ontologie naturaliste » des modernes selon Descola), avec une opposition radicale de la nature et de la culture. D’où cet « autisme cosmique » dont parle Gauchet dans la conclusion de son livre. Cette déliaison des humains et l’affaiblissement de la cohésion du tout social, sont, affirme Gauchet, « le cœur de notre crise ». Ajoutons, ce que fait aussi Gauchet en conclusion de son livre, que la déliaison cosmique entretient évidemment un rapport intime avec la crise écologique.
La sortie de la structuration religieuse constitue donc un gigantesque péril sur les deux versants (humain et cosmique, sociétés humaines et « nature ») en même temps qu’une prodigieuse émancipation dont nous goûtons les fruits, les deux étant intimement liés. Quelle meilleure illustration que « l’occupation du monde » (Piron, 2018) qui produit des bienfaits de toutes sortes (scientifiques et techniques, matériels, médicaux, libertés privées et publiques – pour faire court) dont nous bénéficions, mais qui menacent en même temps les conditions vitales de notre existence par les périls écologiques qu’ils génèrent ?
Au niveau des sociétés qui vécurent l’immense majorité de leur histoire sous l’autorité d’une Altérité sacrale, quel péril que « de s’écarter de sa juste assiette de toujours » ! Comment vivre ce désarrimage des dieux et cette déréliction de l’humain ? On comprend que la sortie de la religion soit faite « à reculons » avec d’âpres « batailles pour la servitude » à grand renfort de succédanés séculiers (Contrat social, Lois de l’Histoire, Main invisible du marché, etc.). D’où également la « démocratophobie ».
L’émergence du Politique en place de l’autorité sacrale
Le Politique (à distinguer de « la politique ») comme instance de cohésion et de commandement des sociétés humaines n’est pas né de la sortie de la religion, mais il n’était jusque là pensable – après la naissance des États il y a quelques millénaires – que comme « médiation entre l’ordre divin et l’ordre humain ». Avant cette période étatique, les sociétés humaines imprégnées de part en part de la religion (dans ses versions premières) étaient « contre l’État » (Clastres, 1974). Et après la sortie de la religion, l’instance qui n’est plus médiatrice avec l’Autre demeure en quelque sorte orpheline des Dieux et des Anciens. C’est bien ce qui s’exprime de nos jours par « perte de sens » à tous les étages (du psychique individuel au sociétal). Elle est l’héritière du « moment Machiavel », soit la naissance de la souveraineté des États-nations comme expression de l’autonomie politique des sociétés humaines européennes, spatialement et temporellement délimitées.

Pugilat au Congrès américain, 1856
(source Wikipédia)
Quand « le passé n’est plus notre code », c’est l’invention de l’avenir par la puissance des sociétés de se créer elles-mêmes dans le temps avec la tentation de donner un grand « H » à l’histoire des hommes avec une promesse d’achèvement, d’aboutir à sa Fin. Ce sera la grande affaire du XIXe siècle, dans la foulée de Hegel et de Marx. On voit comment elle irrigue notamment une œuvre très populaire du même siècle, comme celle de Jules Verne, mais en se retournant à chaque volume vers la nostalgie des origines sacrées. Une invention de l’avenir qui est laissée à la liberté des humains, d’où la dimension nécessairement « libérale » de la démocratie, qui ne peut cependant s’affranchir du tout social qui conditionne les libertés, y compris économiques. Mais c’est en vertu de cette dimension de la démocratie que le capitalisme « est l’enfant de la société de l’histoire » (autonome), mais « pas le père ».
Ajoutons que la déliaison de la société d’avec la structuration religieuse ouvre la possibilité et la légitimité d’une « science des religions » et de la société dans son ensemble (la sociologie, l’anthropologie…), mais en « occultant les transformations structurelles dont elle procède ». Un de ses symptômes est la réduction du fait religieux à des croyances individuelles, en occultant la fonction structurante collective des religions dans les sociétés non démocratiques (hétéronomes), ce qui explique en bonne partie l’aveuglement face à cette dimension dans l’appréhension occidentale contemporaine de l’islamisme ou de l’hindouisme politique (sans parler du rôle de l’orthodoxie dans le Poutinisme), par exemple.
La triade politique de la démocratie naissante
Passons rapidement sur ce chapitre qui concerne la tripartition entre conservateurs, libéraux et socialistes des options politiques à l’intérieur de l’espace démocratique – tripartition qui nous concerne encore aujourd’hui, même si la crise dans la démocratie va l’ébranler. Il s’agit pour les conservateurs d’écarter l’illusion d’un possible retour en arrière des réactionnaires et de rejeter tout autant l’ambition révolutionnaire. Ce compromis pacificateur entre l’Ancien Régime et la Révolution admet une « continuité des temps » qui va s’incarner particulièrement dans la notion de « fin de l’histoire » (qui constitue un rapatriement de l’hétéronomie au sein de l’histoire faite par les hommes) qu’illustrera de manière emblématique la philosophie de l’histoire de Hegel (1770-1831). Du côté des libéraux, l’avènement possible d’un « ordre achevé » (la fin de l’histoire) va être perçu comme une illusion qui doit laisser place au mouvement autonome de la société civile, ce qui ne l’empêchera pas d’être habité de manière « moderne » par la croyance de l’Un social résultant de l’articulation libre des volontés individuelles. Phénomène souterrain que l’on verra aussi à l’œuvre dans l’option socialiste, en particulier avec Marx qui remet le finalisme hégélien « sur ses pieds ».

Le sociologue allemand Max Weber en 1894
(source Wikipédia)
Ces trois options politiques ont pour caractéristique commune de conserver l’ancrage hétéronome sous une forme non religieuse, en donnant au mouvement de l’histoire faite par les hommes la possibilité d’aboutir à une communauté politique Une. Le garant n’étant cette fois plus l’ancrage originel d’un fondement religieux extra-humain, mais bien la dimension providentielle de l’histoire autonome faite par les hommes. « L’ordre définif » de la société humaine sera son œuvre historique et non plus celle des dieux fondateurs à l’origine des temps. L’ambition du « définitif » est donc conservée de manière plus ou moins voilée, l’histoire faite par les hommes a un sens qui va vers le Un ou vers une post-histoire libérale. Qui dit « post », dit aussi fin de l’histoire.
Horizontalisation interne et mondialisation externe
La sortie définitive de la religion vers les années 1970, en Europe occidentale, va mettre à mal cette « assiette » hétéronome séculière. C’est ce que l’auteur désigne sous le titre de « La décantation de la structure autonome », soit sa clarification par séparation de certains de ses éléments. Selon Gauchet, le concept central pour comprendre le basculement démocratique dégagé de son ombre portée hétéronome, y compris sécularisée sous ses différentes manifestations libérales ou socialistes, est celui de médiation.
Dans l’ordre ancien, la médiation s’effectuait de manière verticale, entre les composantes individuelles et l’ordre venu d’en haut, relayé par la hiérarchie et le « tout social » ; dans la société autonome la médiation demeure, mais elle est horizontale. D’où « l’effacement de l’unification par le haut » qu’assurait encore le politique comme relais de l’hétéronomie sécularisée (sous sa forme conservatrice, libérale ou socialiste). L’espace social s’est horizontalisé, coordonné par « la politique » de manière toujours provisoire, voire précaire, et les « mécanismes automatiques » de nombreuses instances institutionnelles. Le piège, selon Gauchet, est que, soit les instances médiatrices semblent absorber ce qu’elles sont chargées de relier, soit qu’elles fassent croire à un processus naturel et spontané au point de « se faire oublier ». Dans les deux cas, leur dimension politique (au sens de « le politique ») est estompée.
En parallèle à ces transformations internes, la mondialisation travaille les sociétés par l’externe. À nouveau, pour Gauchet, ce phénomène « massif et lourd de conséquences » est un processus politique avant d’être un fait économique, lié à la généralisation de la forme État-nation consécutive à la « désimpérialisation du monde » (fin des empires coloniaux européens, décomposition de leurs pendants totalitaires)[3].
Une des conséquences majeures est formulée ainsi par l’auteur, que nous ne pouvons que citer in extenso :
« En un mot, le désenclavement planétaire inauguré en 1492 est parvenu à son terme. Il impose un nouveau cadre à la vie des sociétés, en substituant d’une certaine façon la synchronie géographique à la diachronie historique. En dehors d’une étroite élite, les sociétés vivent pour leur grande masse dans un cercle de références internes hérité de leur parcours propre. Elles doivent vivre désormais en fonction d’un système de références qui tient à leur coexistence externe, comme si leur passé n’avait plus d’importance. Ce régime de coexistences les rend toutes contemporaines les unes des autres, au-delà des différences de culture ancrées dans les écarts de leurs histoires, avec les télescopages brutaux qui ne peuvent manquer d’en résulter. Une bonne part de la querelle multiforme des « identités » sort de là. » Et Gauchet de conclure ce paragraphe par cette phrase : « Car ce qui se trouve disqualifié de la sorte, effacé, voire refoulé, n’en continue pas moins d’habiter les esprits et de réclamer diversement sa part » (nous soulignons).
En d’autres termes, la crise démocratique à l’interne se double des effets de la mondialisation à l’externe, que ce soit par le biais des tensions géopolitiques ou des difficultés liées aux flux migratoires ou aux chocs culturels à distance (notamment par le biais des contenus véhiculés par les médias numérisés). Bien entendu, cette problématique touche aussi les pays du « Sud global », bien que de manière différente (sinon opposée) – notamment par le rejet de la démocratie d’origine occidentale, perçue comme coloniale, impie ou décadente, et des réactivations de type fondamentaliste consécutives (y compris, bien entendu, au sein de certaines communautés immigrées en Occident). Comme déjà développé plus haut et comme nous le voyons, les « protestations populistes » en Europe ou aux USA y trouvent un de leurs ressorts majeurs.

Assaut du Capitole par les partisans de Trump, 2021
(source Wikipédia)
En outre, la mondialisation et ses différentes facettes « fragilisent l’existence même des communautés politiques » constituées en État-nation, ce qui est une des composantes de la crise dans la démocratie. Ces communautés vont-elles se trouver diluées et privées de rempart contre les menaces qu’une partie de ces populations perçoivent du monde extérieur ? D’où un nationalisme défensif, notamment en Europe. Mais, comme le note Gauchet et comme nous l’avons synthétisé plus haut, autant à l’interne qu’à l’externe et par des mécanismes différents, « la conflictualité qui met en crise la démocratie se situe dans la structuration autonome elle-même ». La suite du chapitre sur la « décantation de la structuration autonome » affine l’analyse que nous avons résumée.
« Sortie de la nature »
Soulignons, en lien avec la citation écologique placée en épigraphe de cet article, que la partie finale de ce chapitre est consacrée à « une dernière retombée cruciale de l’Un hétéronome », à savoir l’englobement cosmique de l’humanité ou, en termes plus « modernes » (naturalistes), son inclusion dans la nature. En d’autres mots, écrit Gauchet, « cet englobement assurait la compénétration des domaines, compénétration qui peuplait la sphère visible d’une foule d’entités invisibles, esprits, spectres et autres forces occultes sous la coupe d’un suprême et inaccessible unificateur invisible, quelque appellation qu’on lui donne. » Voir à ce sujet les cosmologies non naturalistes (modernes) identifiées par Descola, mais dans une sorte de fixisme quasi essentialiste des cosmologies. Le « désenchantement du monde » expurge le cosmos non humain d’empreintes surnaturelles, comme l’avait déjà analysé le sociologue Max Weber qui a forgé cette expression (Entzauberung der Welt, 1917), dont s’est inspiré Gauchet pour son livre programmatique.

Livre du médiéviste Sylvain Piron sur la matrice religieuse de l’Anthropocène
(source collection Points)
La « sortie de la religion » s’accompagne en effet également d’une sortie de l’humanité de la nature. Comme nous venons de le souligner, on reconnaîtra ici l’affinité de ce constat avec la naissance de la cosmologie « naturaliste » identifiée par Descola, soit l’opposition entre nature et culture contemporaine de la modernité objectivant la nature et plaçant l’humanité en position d’exception (car seule pourvue d’une intériorité, les autres existants étant réduits à leur physicalité). La grande différence entre les deux analyses, comme le souligne également Piron, étant que l’anthropologue se fonde sur l’identification documentée de quatre cosmologies très stables (animisme, totémisme, analogisme et naturalisme), sans lien d’engendrement historique entre elles. La dynamique historique est absente chez Descola, comme l’anthropologue l’écrit lui-même[4]. Ce qui n’est pas du tout le cas chez Gauchet, comme l’écrit Piron (2018, p. 200) : « La dynamique qu’il décrit fournit également une piste efficace pour orienter la grille d’analyse de Descola vers un modèle de transformation historique. »
En tout état de cause, l’humanisation de la nature est dans ce contexte le but du parcours humain : c’est au final l’Anthropocène ou l’Occupation du monde selon l’expression de Sylvain Piron. Mais avec une conséquence « d’autisme cosmique », bien identifiée par Gauchet dans des pages étonnantes et qui semblent neuves dans son œuvre. Il y parle d’une « sensation d’enfermement dans une bulle » liée à la « maîtrise croissante des phénomènes naturels ». Comme si « le sol du monde se dérobait sous nos pieds » dans ce monde artificiel que sont les grandes métropoles. Et, pour lui, « la racine de l’angoisse écologique se situe en amont (…) des dégâts provoqués par l’activité humaine (…) dans la perte de l’alliance symbolique qui liait le sort de l’espèce humaine avec le destin de son cadre cosmique » (nous soulignons).
D’où le dilemme exprimé en fin de cette partie « entre bond en avant vers une artificialisation intégrale jugée indispensable à une préservation ne pouvant plus qu’être voulue, ou saut en arrière vers l’abandon d’instruments jugés fatalement destructeurs ». Ce qui constitue dans tous les cas (on pourrait discuter sur le dilemme formulé de cette manière binaire) « un formidable élargissement de la responsabilité humaine à l’égard de ses propres conditions d’existence, en même temps que celle des autres êtres vivants dont elle se découvre partager le sort. » Il s’agit donc, paradoxalement, d’un élargissement de l’idée d’autonomie vers la prise en charge de l’environnement naturel.
Structuration autonome, source de division et de crise
Nous arrivons à la fin du livre et de cette recension au terme de ce long parcours, cela en revenant au point de départ du « nœud démocratique ». Ce dernier chapitre commence par une affirmation assez inquiétante à première vue, à savoir que « la structuration autonome ne produit pas mécaniquement un fonctionnement autonome » et elle est même « susceptible d’en détourner ». Selon Gauchet, elle ne fait qu’en créer la possibilité au travers de la lecture qu’en font les acteurs et « l’idéologie qui définit à leurs yeux la bonne orientation de l’action collective », qui n’est qu’une option parmi d’autres. Car la « décantation pleine et entière de la structuration autonome « ouvre un problème béant » et « sème la discorde au sujet de ce que pourrait et devrait être la condition démocratique ». Ce qui « allait de soi » est devenu une question ouverte.
Exprimons cela en termes plus incarnés. Dans la mesure où une société humaine (sous forme d’État-nation, en l’occurrence) s’est affranchie de tout ancrage métasocial de son origine (sa cause première), de son fonctionnement (sa structuration) et de son avenir (son projet), elle se trouve face à un vide (le « problème béant »), dépourvu de ce qui jusqu’à présent la soutenait dans son existence. L’on peut ramener cela à la perspective individuelle d’une découverte de la liberté lors de « l’entrée dans la vie ». Face à ce vertige, nous savons que l’individu singulier préférera bien souvent la soumission selon des modalités plus ou moins fortes, à un groupe, un ordre, une croyance, une addiction apportés du dehors plutôt que d’affronter vaille que vaille les « vertiges de la liberté ». L’on sait combien la paradoxale « mise en autonomie » de jeunes à la sortie d’une vie institutionnelle peut s’avérer problématique. L’on peut également le mesurer au désarroi individuel ou collectif qui accompagne la perte de foi religieuse ou d’un de ses équivalents séculiers (engagement total dans un parti, une secte thérapeutique, etc.). Les « réactivations fondamentalistes » que l’on voit surgir dans d’autres civilisations face à la modernité occidentale n’ont pas d’autre source. Voir, parmi beaucoup d’autres, l’islamisation politique radicale de Sayyid Qutb, idéologue majeur des Frères musulmans, après son séjour aux États-Unis.
Gauchet abordera ensuite différentes dimensions de cette crise dont nous avons déjà synthétisé la problématique centrale plus haut. Il détaille d’abord ce qu’il nomme « le croyable néolibéral » (associant individualisation et mondialisation), à savoir une idéologie qui met en avant une vision post-politique, post-sociale et post-historique qui va bien au-delà du seul champ économique, comme nous l’avons déjà relevé plus haut. Ensuite le « trompe-l’œil de la structuration collective », à savoir que le droit (notamment des individus) a pris la pleine lumière, le politique et l’histoire « glissant dans l’ombre » : le politique s’est effacé derrière la politique, l’histoire derrière le changement au présent, la socialisation derrière l’individualisation.
C’est une situation qui, selon Gauchet, est aux antipodes de la crise totalitaire durant laquelle l’Histoire et le Politique étaient une force dévorante (on visait la Fin de l’Histoire sous la puissance directrice du politique), le Social écrasant l’individu et le droit sous la forme de « la communion des masses et la soudure du bloc du peuple autour de son chef ». La scène actuelle est inverse. Nous sommes passés, selon une formule dont Gauchet a le secret, de « la dissolution de l’individu dans le collectif » à la « dissolution du collectif au profit de l’individu ». La structuration collective y apparaît donc bien en « trompe-l’œil ».
Individu « autonome » et « monde plat »
Que devient dès lors l’expérience de l’acteur individuel dans ce contexte ? Peut-il connaître une « vie autonome » en dehors du cadre collectif, comme nous l’avons esquissé plus haut ? Gauchet (comme de nombreux sociologues qui ne versent ni dans la « sociologie critique » mâtinée de « wokisme », ni dans une apocalyptique lacanienne) affirme que non. Comme nous l’avons déjà constaté et énoncé à de nombreuses reprises[5], c’est la société historique qui est « la matrice de cette individualisation radicale » et qui est le vecteur par différentes médiations de l’injonction paradoxale bien connue : « Sois autonome ! ». Et elle se matérialise, comme nous le savons, « dans le gigantesque appareil institutionnel de formation, de protection, de garanties toutes directions du berceau à la tombe, sans lequel cette individualisation en droit resterait une aimable chimère ». Marcel Gauchet enfonce le clou : « Ce vivant paradoxe d’une organisation qui pousse à penser le contraire de ce qu’elle est constitue l’un des nœuds autour desquels gravite la perturbation démocratique ».
Toute une idéologie, allant des libertariens aux défenseurs des droits humains de toutes sortes (ces derniers indispensables par ailleurs : c’est leur idéologie qui est interrogée), s’appuie sur le mythe de la libre circulation d’hommes sans attaches. Tout ceci ayant généré en retour l’opposition entre les « anywhere » et les « somewhere ». Et voilà pourquoi, résume Gauchet en s’inspirant du journaliste américain Thomas Frank (auteur d’un livre portant ces titres dans la traduction française), « les riches votent à gauche » tandis que « les pauvres votent à droite ».
Une des conséquences de cette individualisation socialement induite et étayée est le désir de la reconnaissance des singularités individuelles, ce qui débouche sur une multitude de revendications identitaires particulières, assorties de leurs diverses « phobies », et d’épanouissement des personnes (générant à son tour le marché du développement personnel). Bien évidemment, une société des individus a de la peine à se représenter comme société. Elle a, écrit Gauchet, « l’air de tenir toute seule, mais c’est une impression trompeuse ».
Finissons la recension de ce chapitre par ce point sur la mondialisation : l’illusion néolibérale (et néo-libertaire) donne l’impression, au niveau global, d’un « mode plat » dans lequel les différences historiques et culturelles des parties sont effacées ou niées au profit d’un « universalisme » qui nie ses origines occidentales. Bien des illusions géopolitiques des dernières décennies, aujourd’hui remises en cause[6], teintées de moralisme émotionnel et de « religion humanitaire de l’Autre » dans la société civile, y trouvent leur source. Nous renvoyons le lecteur courageux du livre de Marcel Gauchet aux divers développements en fin d’ouvrage sur les limites de l’État de droit, la construction européenne, le fait migratoire, l’usage du référendum et autres procédures (comme le tirage au sort) pouvant aider à faire face à la crise dans la démocratie. Nous allons dès lors nous diriger d’emblée vers le chapitre conclusif qui porte le titre qui suit.
« Le défi de l’autonomie »
L’auteur revient sur son ambition d’identifier le foyer central à partir duquel rayonne la crise dans la démocratie. Le premier travail, nous l’avons vu, aura été d’échapper à la causalité économique « en expliquant la place hégémonique prise par l’économie » qui est « un effet qui se donne pour une cause ». Il y a en substance, selon le paradigme analytique de Gauchet (parent en ce sens avec l’anthropologue Philippe Descola), « plus profond que l’infrastructure » économique, soit « le mode de structuration de l’être-en-société » où nous reconnaissons l’opposition princeps et programmatique de Gauchet entre hétéronomie et autonomie. Et le lent travail de transformation historique qui fait glisser l’ordre des sociétés de l’une à l’autre « à reculons ».
Les principes de liberté que nous chérissons tant sont portés par « des rouages de l’être-ensemble qui ont mis des siècles à se forger, en subvertissant peu à peu l’ancienne ordonnance qui présidait à l’existence des communautés humaines ». Les idées démocratiques ne sont donc pas tombées du ciel (si l’on peut dire) « par un miracle de la raison ». Il n’y a dès lors pas de « régime démocratique pur » qui soit indépendant du « mode de structuration qui le rend possible et les astreintes qu’il comporte ». La lecture dominante de ce processus est cependant aujourd’hui une « version juridiquement individualiste (…) associée à une version idéologiquement néolibérale du fonctionnement collectif. » D’où la « protestation populiste » de la souveraineté collective liée à la défense de l’État-nation contre une idéologie libérale « sans frontières », un axe central de la crise dans la démocratie selon Gauchet.
L’autonomie politique des démocraties n’est pas « un dimanche de l’histoire », un « temps de repos après un dur labeur ». Il ne s’agit pas d’un acquis mais d’une réalité qui exige d’être « expressément visée pour elle-même », pas d’un « automatisme social » assurant et soutenant l’autarcie individuelle. Par ailleurs, cette opposition des dominants néolibéraux (au sens large) mondialistes et des dominés « populistes » nationalistes ne gagne en rien à être lue en lutte du camp du Bien opposés au camp du Mal, doublée de mépris social des « sachants ».
Le problème écologique et la structuration autonome, qui en est la source lointaine
Reste, comme nous l’avons remarqué, notamment en début d’article, la chute étonnante du livre sur la question écologique qui occupe les dernières pages de la conclusion. Gauchet la lie intimement à la question démocratique sur base des deux tendances contemporaines qui se dessinent à ses yeux : la première considère que les démocraties, dans leur état actuel, « sont rigoureusement incapables d’affronter le problème écologique, avec les révisions déchirantes qu’il appelle et les tensions sociales qu’il est voué à provoquer ». D’où la tentation consécutive d’une « dictature nationale verte » (cette expression n’est pas de Gauchet) face à l’ampleur des enjeux. L’autre tendance est de nature néolibérale, prônant l’approche globale de l’écologie en déconsidérant les gouvernements trop faibles, ce qui débouche sur une dé-démocratisation de la question au niveau national et local. En d’autres termes, l’affrontement des défis écologiques au sens large (climat, biodiversité, déchets, ressources, dégradation des sols…) est un nouveau défi pour la démocratie que Gauchet aborde, comme nous venons de le voir, selon la grille d’analyse de son livre.
Et sa réponse est nette, nous la citons : « C’est seulement à l’inverse (ndlr : des deux tendances que nous venons de résumer ci-dessus), en subordonnant la question de la survie à celle de la bonne vie, démocratiquement délibérée et tranchée, que la réponse a une chance d’être véritablement efficace » (nous soulignons). Et il ajoute « Sur le fond, en dépit de l’hétérogénéité apparente des problèmes, le problème démocratique et le problème écologique sont inséparables. »
Comme nous l’avons évoqué, sous l’ordre ancien (la structuration hétéronome liant intimement l’espèce humaine au cosmos non humain), la question ne se posait pas. L’évanouissement de cet ordre ouvre, lui aussi, une interrogation béante sur les liens entre les sociétés humaines et leur environnement (par ailleurs fortement anthropisé dans la foulée des révolutions techno-scientifiques liées de près ou de loin au désenchantement du monde). Gauchet remarque d’ailleurs, qu’au niveau historique, les deux phénomènes coïncident chronologiquement en Occident. La montée de la sensibilité à l’environnement, qui date des années 1970 (Rapport Meadows, 1972 – voir Quentin, 2024, pour une version romancée du rapport et ses suites), a, selon Gauchet, « fidèlement accompagné les suites du déploiement de la structuration autonome ».

Roman d’Abel Quentin inspiré du rapport Meadows et de ses suites
(source l’Observatoire)
En effet, le mouvement historique vers la démocratie, ou la structuration autonome de la société, bouleverse le rapport du monde humain avec son environnement naturel « par l’artificialisation auto-référentielle qu’il lui imprime » et tend à « le refermer sur son autosuffisance, dans une disjonction vertigineuse avec ce qui est autour de lui. » En d’autres mots, la crise écologique est bien « un enfant » de la démocratie par la rupture que cette dernière a effectuée avec l’englobant cosmique (un mode « d’existence a-cosmique » écrit Gauchet) en désenchantant le monde, le réduisant à une « res extensa »[7] pouvant être connue et exploitée par la science et la technique. Ce qui permet « l’occupation du monde » dont Sylvain Piron, de manière très gauchetienne, piste la source religieuse chrétienne.
D’où le dilemme formulé par Gauchet d’une « fuite en avant dans la poursuite des connaissances » ou « l’appel à un autre mode de pensée, non pour contredire ces connaissances, ou les corriger, mais pour déterminer leur place et régler leur usage dans un cadre qu’elles sont, par construction, incapables d’appréhender ? (…) Ces rationalités opératoires qui assurent la réussite prodigieuse de la société de la connaissance ne sont pas le tout de la raison ». La suite du paragraphe est reprise en épigraphe de cette recension. Mais pas la fin. « Qui sait si ce n’est pas du côté de cet élargissement et de sa pression inédite que viendra le déclic de la réforme de l’entendement politique requise par l’impasse actuelle… ». Nous en resterons à cet élargissement de la raison, à ses effets politiques et pratiques, afin de pouvoir habiter le monde au lieu de l’occuper.
Bernard De Backer, décembre 2024
Pour télécharger le fichier pdf :
Complément du 6 février 2025. Marcel Gauchet face au nœud démocratique, Alain Bergounioux, Telos, 1er février 2025
Complément du 22 décembre 2024. Notons en passant que la présidente du groupe parlementaire du parti d’extrême droite allemand, AfD, et candidate à la chancellerie, Alice Weidel, est lesbienne vivant en couple avec une femme d’origine sri-lankaise, Sarah Bossard (productrice de films). Le couple, qui fréquenterait des milieux « alternatifs de gauche » selon Wikipédia en langue allemande, a adopté deux garçons et vit en Suisse. Weidel est docteure en économie, a travaillé chez Goldman Sachs et vécu six années en Chine. Elle parle couramment le mandarin (la seule du Bundestag, semble-t-il). Nous sommes loin des « somewhere » contre les « anywhere »… Il y a d’autres exemples de leaders « populistes » qui correspondent plus ou moins à ces caractéristiques (dont plusieurs femmes). Sans parler de la cheffe du Parti conservateur britannique, Olukemi Olufunto Badenoch, qui est d’origine nigériane.
Complément du 21 décembre 2024.« La situation de la démocratie dans le monde est pire que celle que nous avons connue dans les années 1930 ». Dans un entretien accordé au « Monde », Staffan Ingemar Lindberg, directeur de l’Institut Varieties of Democracy, qui publie tous les ans un rapport sur l’état de la démocratie, analyse les grandes tendances observées en 2024, Le Monde, 21 décembre
Complément du 16 décembre 2024. Ce n’est qu’après-coup que je me suis rendu compte que le médiéviste Sylvain Piron était un des deux interlocuteurs de Marcel Gauchet dans La condition historique (2003), un livre d’autobiographie intellectuelle très éclairant. Sylvain Piron, après avoir publié L’occupation du monde chez l’éditeur franco-belge Zones sensibles, a fondé un nouvelle maison d’édition (également franco-belge), Vues de l’esprit, centrée sur diverses traductions spirituelles et « toutes les manières de vivre avec l’invisible ».
Notes
[1] Comme l’écrit Sylvain Piron : “Dans des styles très différents, Philippe Descola et Marcel Gauchet affirment que les schèmes élémentaires de la pratique sont déterminés par telle ou telle option globale structurant les relations qu’entretiennent les êtres et le monde, options qui sont elles-mêmes en nombre restreint – la principale différence étant que Gauchet appelle « religion » le registre que Descola décrit comme celui des « ontologies « » (in L’occupation du monde, p. 52). Ajoutons qu’un certain « fixisme » ontologique empêche Descola de penser l’histoire, au contraire de Gauchet. Ce point est aussi souligné par Piron.
[2] On retrouve ce raisonnement aussi bien à « gauche » qu’à « droite », les seconds regrettant cette émancipation « sans limite » ou « sans gravité » des individus délestés du cadre social, alors que les premiers nous vantent les vertus de l’émancipation individuelle hors de l’obscurantisme. Notons que ces derniers dressent par ailleurs souvent les louanges « décoloniales » de sociétés pré-modernes, notamment animistes, qui sont au regard des études anthropologiques (voir notamment Descola dans Les lances du crépuscule) fortement marquées par la domination masculine, l’inféodation de l’individu au groupe, sans parler des formes de « racisme » déhumanisant pour les collectifs voisins. Comme l’écrivait abruptement Claude Lévi-Strauss : « L’humanité cesse aux frontières de la tribu ».
[3] Pour Gauchet, qui évoque la montée en puissanc de la Chine et l’agression russe contre l’Ukraine – dans le contexte plus large d’un « retournement du « Sud global » enrichi contre le « Nord » affaibli », ce qui est la thèse d’Huntington dans Le choc des civilisations, non cité par Gauchet – il ne s’agit pas d’un retour des empires, mais bien d’autocraties sur la défensive. (il faut, après l’élection de Trump et sa prise de fonction, ajouter la volonté impériale du trumpisme, y compris territoriale : Groenland, Canada, Canal de Panama, « Golfe d’Amérique »)
[4] Ce que nous avions pointé dans notre recension de Par-delà nature et culture pour Etopia et La Revue nouvelle : « Par ailleurs, malgré́ les apparences, Descola souligne qu’il s’agit, dans sa typologie, de schèmes d’identification qui ne préjugent aucunement de leur succession temporelle. Son souci est de repérer des structures, pas de tracer une évolution. Il n’affirme dès lors nullement que les sociétés humaines suivent un parcours évolutif de l’animisme vers le naturalisme, en passant par le totémisme et l’analogisme. La question de la transformation des ontologies — auxquelles il attribue une très forte stabilité́ dans le temps, car « l’ontologie est résistante » — n’est pas traitée dans ce livre, sauf de manière incidente (et comme indice de la prévalence des structures) à travers le thème de la domestication des animaux. »
[5] Notamment dans la cadre de nos travaux professionnels sur le travail social, surtout l’Aide à la jeunesse, mais également l’aide aux personnes sans domicile (voir le livre Les cent portes de l’accueil et son chapitre final au titre à double sens : « Supporter l’autonomie »).
[6] Voir à ce sujet, parmi d’autres, le livre très documentée de Sylvie Kauffmann, Les aveuglés ? Comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie, Stock, 2023. Notons cependant que la causalité culturelle et civilisationnelle est très peu invoquée comme cause de l’aveuglement, qui donne son titre au livre de la journaliste du Monde.
[7] Expression de Descartes qui signifie chose « étendue » ou « substance corporelle », opposée dans son ontologie à « res cogitans », « substance pensante », propre aux hommes qui peuvent « se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». On reconnaîtra ici l’opposition de l’intériorité et de la physicalité dans les quatres ontologies de Descola.
Sources
Livres de Marcel Gauchet en lien avec Le nœud démocratique
- Gauchet Marcel, Le désenchantement du monde, Éditions Gallimard, 1985
- Gauchet Marcel, La démocratie contre elle-même, Éditions Gallimard, 2002
- Gauchet Marcel, La condition historique, Stock, 2003 (entretiens avec François Asouvi et Sylvain Piron)
- Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie, I. La révolution moderne, Éditions Gallimard, 2007
- Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie, II. La crise du libéralisme, Éditions Gallimard, 2007
- Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie, III. À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974, Éditions Gallimard, 2010
- Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie, IV. Le nouveau monde, Éditions Gallimard, 2017
- Gauchet Marcel, Le nœud démocratique. Aux origines de la crise néolibérale, Éditions Gallimard, 2024
- Gauchet Marcel, « Sous l’amour de la nature la haine de l’homme », Le Débat, mai-août 1990
- Marcel Gauchet et le nœud démocratique, 28 minutes, Arte, 27 novembre 2024
- Librairie Mollat (Bordeaux), Présentation du livre avec Marcel Gauchet
Autres sources
- Clastres Pierre, La Société contre l’État : Recherches d’anthropologie politique, Paris, Éditions de minuit, coll. « Reprise », 2011a (1re éd. 1974),
- Droit Roger-Pol, « Le Nœud démocratique », de Marcel Gauchet : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit, Le Monde, 11 octobre 2024
- Goodhart David, The road to somewhere : the populist revolt and the future of politics, Londres, C. Hurst & Co, 2017
- Lebrun Jean-Pierre, “Le noeud démocratique” de Marcel Gauchet, Association freudienne, 2024
- Mounk Yascha, Le peuple contre la démocratie, L’Observatoire, 2018
- Piron Sylvain, L’occupation du monde, Points 2024 (première édition Zones sensibles, 2018)
- Quentin Abel, Cabane, Éditions de l’Observatoire, 2024
Sur Routes et déroutes
- De Backer Bernard, « Retour au livre de Samuel » (lecture « gauchetienne » du Choc des civilisations de S. Huntington), Routes et déroutes, février 2022
- De Backer Bernard, « Poutinisme, réactivation fondamentaliste ? », Routes et déroutes, mars 2024
- De Backer Bernard, « Mondialisation, virus et anticorps », La Revue nouvelle et Routes et déroutes, janvier 2016
- De Backer Bernard, « L’écosophie pistée », Routes et déroutes, décembre 2020
- De Backer Bernard, « Écolo, la démocratie comme projet », recension du livre de Benoît Lechat pour La Revue nouvelle, juillet 2015
- De Backer Bernard, « Populisme, le Parti pour le tout ? », La Revue nouvelle et Routes et déroutes, juin 2018
- De Backer Bernard, « Par-delà nature et culture », recension du livre de Philippe Descola pour le centre de recherche Etopia et La Revue nouvelle, republié sur Routes et déroutes, 2012
- De Backer Bernard, « Descola le refus de l’histoire ? » (recension critique de Les formes du visibles de Philippe Descola, 2021), Routes et déroutes, novembre 2021
- De Backer Bernard, « Jules Verne et l’île absolue », Routes et déroutes, septembre 2024
- De Backer Bernard, « Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie, III À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974 » (recension pour La Revue nouvelle)
Comme je m’y attendais, cet article n’a suscité aucun commentaire. Tout comme le livre de Gauchet (sur un sujet aussi fondamental), hors l’article de Roger-Pol Droit dans Le Monde et quelques présentations en librairie et dans l’audiovisuel. Ou de brèves notes de lecture. L’interlocuteur de Marcel Gauchet à la librairie Mollat à Bordeaux (voir le lien dans les sources) à bien résumé la situation : soit les critiques ne l’ont pas lu, soit ils l’ont pas compris, soit ils l’ont rejeté en lisant « Gauchet » sur la couverture. Un lecteur m’a envoyé ce mot en privé qui va dans ce sens : « Votre compte-rendu qui se distingue par un effort de restitution et de discussion dont les exemples se font de plus en plus rares. (…) Ce sera assez probablement le seul. »
P.S. Le point où je me distancie de Gauchet pour ce livre est la question du « retour des empires ». Pour lui, dans un ouvrage écrit avant la réélection de Trump, il ne s’agit pas d’un retour des empires, mais bien « d’autocraties sur la défensive ». Je suis pour le moins dubitatif en ce qui concerne la Chine, qui me semble plutôt à l’offensive, mais également pour la Russie. La victoire de Trump et ce qui s’en suit, notamment son alliance avec Poutine et la trahison de l’Ukraine ainsi que ses projets de conquête impériale (Groenland, Canada…), ne vont pas du tout dans le sens de l’analyse de Gauchet. Je constate aussi l’importance des références religieuses (instrumentalisées ou non) dans l’administration Trump. A l’heure où j’écris ces lignes (9 mars 2025), rien ne semble pouvoir arrêter la « fuite en avant » de Trump, autant à l’externe qu’à l’interne. Sur ce point, et sur le « pacte russo-américain » qui en rappelle un autre, je souscris totalement au discours de Claude Malhuret au Sénat français lors du débat sur l’Ukraine : https://www.youtube.com/watch?v=G-lh0TUTtvI
Par ailleurs, le pacte « Trump-Poutine », qui vise à déconstruire l’Union européenne pour en faire une mosaïque d’États-nation, rend le projet de l’UE d’autant plus indispensable, sans pour autant être « impérial ». Je suis résolument en faveur d’une Europe plus fédérale dans le contexte actuel, ce qui n’est pas le cas de Marcel Gauchet (voir notamment un appel pour un référendum sur le « tour de vis fédéraliste » qu’il a signé en avril 2024 dans Le Figaro). D’autre part, les déclarations de Gauchet sur l’intervention de J.D. Vance à la Conférence de Munich dans une interview à Marianne me laissent perplexe. Autant je me méfie des interprétations « complotistes inversées » qui attribuent l’élection de Trump à la seule manipulation des réseaux sociaux, sans faire l’analyse des raisons pour lesquelles les « pauvres blancs » (autant aux USA qu’en Europe) et les conservateurs religieux se tournent vers le populisme d’extrême droite, autant je pense que ces partis et mouvements représentent un danger majeur.
Cela n’enlève rien, selon moi, à la pertinence de la grille de lecture « weberienne » de Gauchet, qui m’a toujours parue d’une puissance explicative remarquablement profonde.
Enfin, je considère que la problématique écologique est d’une importance fondamentale, au point de dépasser souvent toutes les autres. Sur cet aspect, aussi, je ne partage pas l’avis de Gauchet. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que j’y accorde beaucoup d’importance (qui peut paraître surprenante) dans cette recension, avec l’aide notamment du livre de Sylvain Piron.
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