Poutinisme, réactivation fondamentaliste ?

Vladimir Poutine et le Patriarche Kirill
(
source Radio Canada)

Cette analyse trouve son origine immédiate dans un témoignage, venant illustrer des réflexions et constats antérieurs. Une jeune slave orientale, ayant trouvé refuge en Belgique, exprime sa crainte de rester en Europe. Elle a peur que sa fille ne devienne transgenre. Plus fondamentalement, elle pense que les Européens accueillent ses compatriotes pour les épouser, faire des enfants, et dissoudre ainsi l’identité de son pays. Il me semble qu’il ne faut pas ironiser sur ses craintes plus ou moins complotistes, en partie héritées du monde soviétique et de la propagande poutinienne. Je pense qu’elles expriment quelque chose de plus profond : la peur du monde occidental « décadent » générant, pour faire court, « une perte des pères et des repères ». Je l’avais déjà rencontrée il y a de nombreuses années en traversant la Hongrie à vélo. Un soir, dans une petite ville de la Puszta, un étudiant hongrois anglophone me confia que l’intégration européenne allait dissoudre l’identité hongroise. C’était bien avant Orban. Qu’en est-il de la Russie ? Le poutinisme, qui « marche à reculons » (Ackerman, 2022), serait-il aussi une réaction néo-traditionaliste face au caractère dissolvant de la modernité européenne ? En partie, sans doute. Argumentons.

« Pour Vladimir Poutine, qu’il faut prendre au mot sur ce point, il s’agit d’un conflit existentiel, mené contre le système de valeurs qui constitue le cœur du modèle européen »

Éditorial du Monde, 23 février 2024 (nous soulignons)

« Il faut ajouter que ce discours nous semble étranger car la société russe est, à tort ou à raison, considérée comme européenne ou culturellement proche.
Le mélange d’un langage vulgaire, sexualisé, machiste et de références historiques juxtaposant visions historiques ou religieuses très personnelles et promesses de fin du monde purificatrices, correspond mal à nos catégories intellectuelles, ce qui produit l’effet habituel : la négation ou le passage sous silence de ce qui ne fait pas totalement sens. »

Élisabeth Sieca-Kozlowski, Poutine dans le texte, 2024

« La métamorphose de la Russie poutinienne en secte eschatologique couvait depuis longtemps. On se souvient que Poutine avait déclaré en novembre 2018 qu’en cas de guerre nucléaire, « nous, en tant que victimes d’une agression, nous, en tant que martyrs, irons au paradis, et eux [les ennemis de la Russie] mourront tout simplement. Parce qu’ils n’auront même pas le temps de se repentir. » »

Françoise Thom, La grande imposture russe, Desk Russie, 14 avril 2024

Vers la page d’accueil

« La Russie fut l’un des premiers pays non occidentaux à subir une crise identitaire que d’autres peuples, non occidentaux eux aussi, ont depuis vécue à leur tour ; une crise provoquée par la conviction que, aussi inférieure et odieuse qu’elle ait pu paraître, la civilisation occidentale avait découvert les secrets de la puissance et de la richesse qu’il fallait s’approprier afin de pouvoir rivaliser avec elle à armes égales. »

Richard Pipes,
Histoire de la Russie des tsars (nous soulignons)

 « Je le dis aux démons, vous n’intimiderez personne.
Dieu existe. Nous vaincrons
. »

Zakhar Prilepine, écrivain russe chantre de l’attaque contre l’Ukraine

Bien évidemment, ne l’oublions pas, cette crainte était et demeure aussi la nôtre. Elle le fut lors de passages clé de « la sortie de la religion » vers la sécularisation et la démocratisation de nos sociétés – et elle l’est encore. Que le monde occidental contemporain, avec des différences notables entre l’Europe et les États-Unis, soit perçu par nombre de ses habitants (autochtones et migrants) ou de ses analystes de divers horizons (philosophes, sociologues, psychanalystes, anthropologues, écrivains, etc.) comme un monde décadent, « nihiliste » ou « en perte de vitesse » est une opinion qui semble répandue et défendue par divers intellectuels (voir Gobin, 2024), au point de rejoindre parfois la Russie. Comme Emmanuel Todd (dans La défaite de l’Occident, 2024), peut-être le plus explicite et caricatural d’entre eux, qui associe le « nihilisme » de l’Occident et l’invasion russe de l’Ukraine[1]. La Russie poutinienne y est présentée comme « une puissance conservatrice et rassurante ». Nous voilà d’emblée au cœur de notre sujet, par le biais de la dialectique Occident/Ukraine/Russie, qu’il nous faudra argumenter pour ce qui concerne la Russie actuelle en particulier. Et cela en commençant par examiner l’explication la plus courante et « facile » (bien que très fondée), celle de la prise du pouvoir à Moscou par « les structures de force » (surtout le KGB-FSB) associées à la maffia. L’idéologie anti-occidentale ne serait qu’une ressource secondaire instrumentalisée, surtout à destination de « l’Ouest global ».

Mais ceux-là mêmes qui insistent sur le premier aspect traitent quand même beaucoup du second. Prenons comme exemple Le livre noir de Vladimir Poutine (2022) dirigé par Galia Ackerman et Stéphane Courtois. Cet ouvrage collectif, très fouillé, de plus de quatre cents pages, insiste particulièrement sur la filiation de la Tchéka et du KGB, de l’Homo sovieticus, de l’argot de la maffia et des siloviki (« les gens de la force »), mais il n’en comporte pas moins plusieurs chapitres sur une idéologie de refus de la modernité démocratique. Tels « La fuite en avant de Vladimir Poutine vers le passé » d’Ackerman et Courtois, « La religion orthodoxe comme arme politique » d’Arjovsky, « Une société pseudo-conservatrice qui marche à reculons » d’Ackerman. L’on retrouve d’ailleurs quelque peu cette dimension dans la conclusion générale, titrée « Où va la Russie ? », signée des deux co-directeurs.

Ce sont dès lors les initiateurs de ce livre qui ont écrit deux des trois chapitres sur le rejet de la modernité démocratique et de l’Occident décadent. Nous avons du mal à croire qu’il ne s’agisse là que d’une idéologie faite de bric et de broc, instrumentalisée par le pouvoir KGBiste-maffieux. En outre, si elle est de plus en plus affichée depuis 2012, ce n’est pas qu’à usage externe, mais aussi parce qu’elle « prend » à l’interne, quel que soit le degré de religiosité affiché de la société russe et de sa fréquentation des églises. Enfin, ajoutons que la filiation stalinienne et tsariste présente des homologies structurales avec l’hétéronomie anti-démocratique (point d’appui légitimant l’ordre social et extérieur à la société, qui n’est pas conçue comme se produisant elle-même à travers le débat démocratique, la séparation des pouvoirs, etc.), qui s’incarne dans la valorisation des « valeurs traditionnelles » au niveau de la société : éloge de la famille et de l’autorité masculine, persécution de l’homosexualité, verticale du pouvoir, orientation de la temporalité sociale vers le passé (« marche à reculons », « fuite en avant vers le passé »), primat du collectif sur l’individu, etc.

Emblêmes successifs du KGB et du FSB, siège du FSB à la Loubianka de Moscou
(source Wikipédia)

Ajoutons que la Tchéka, ancêtre du KGB et du FSB (dont est issu Vladimir Poutine), a été créée par Lénine, le grand intercesseur entre « les lois de l’histoire » et l’humanité, fondateur du bolchevisme russe, créateur et acteur majeur d’une religion séculière qui avait une ambition universelle. Autant le tsarisme autocratique, le bolchevisme et le poutinisme sont des adversaires de la démocratie occidentale – dans le prolongement de plus de mille ans d’histoire russe après l’écrasement de la République de Novgorod par Ivan IV, dit « Le Terrible ».

Si Ackerman et Courtois retracent minutieusement le trajet de Poutine de son enfance léningradoise à sa prise de pouvoir au Kremlin, en passant par son séjour à Dresde, c’est pour insister sur la continuité souterraine de l’appareil répressif soviétique sous le nouveau régime postcommuniste. Y compris son alliance avec la pègre, « les voleurs dans la loi » (celle des bandits) dès l’origine du bolchevisme, voire même avant dans Le catéchisme du révolutionnaire (1869) de Netchaïev. La volonté de détruire l’ordre ancien passe par une violence extrême chez ce dernier, pour qui « les brigands [sont] les seuls authentiques révolutionnaires en Russie ». Et Netchaïev d’ajouter : « Au fond de son être, et non seulement en paroles, mais en actes, il a rompu tout lien avec l’ordre public et avec le monde civilisé tout entier, avec toutes les lois, convenances sociales et règles morales de ce monde. Le révolutionnaire en est un ennemi implacable et il ne continue à y vivre que pour le détruire plus sûrement. » (cité par Ackerman et Courtois) Lénine poursuivra dans ce sens en faisant fonder la Tchéka[2] par Dzerjinski en 1917. Il y a dès lors un lien organique entre la « religion révolutionnaire » et la violence répressive des « organes » qui se poursuit sous Poutine. À l’époque de Lénine, c’est le tsarisme, le capitalisme et ce qui s’oppose au pouvoir communiste qu’il faut abattre par la violence ; sous Poutine c’est la démocratie occidentale décadente et « ses agents». Et l’Ukraine, le « proche » menaçant de devenir « étranger ».

Peu importe que ces acteurs ne soient plus portés par la même « foi révolutionnaire » que sous Lénine ou Staline, qu’ils soient « sans foi ni loi » ; ce qui nous semble compter c’est la continuité anti-démocratique et violente pour imposer un ordre (et se servir en passant). Un ordre qui se drape dans la « lutte contre l’Occident » athée et décadent, avec le soutien de ressources religieuses, comme l’Église orthodoxe, l’idéologie impériale néo-eurasiste (Laruelle, 2007, De Backer, 2015), ou celui des « valeurs traditionnelles » adossées. Un ordre homologue à celui de la « structuration sociale hétéronome » (Gauchet)[3], mais composite.

Tournons-nous maintenant vers les chapitres traitant spécifiquement de la naissance et du développement de l’idéologie anti-occidentale virulente du régime poutinien (mais elle est très ancienne dans l’histoire russe). Les auteurs datent sa naissance symboliquement de 2012, année de la réélection de Poutine après l’interrègne de Medvedev – même si le chapitre « Une société pseudo-conservatrice qui marche à reculons » le situe bien avant, exemples à l’appui. Ackerman et Courtois rappellent que le 21 février 2012 (Poutine est élu le 4 mars de la même année) un groupe de féministes, les Pussy Riot (« émeutes de chattes »), chantent une prière punk dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, demandant devant la Vierge que « Poutine dégage ». Elles dénoncent l’alliance entre l’Église orthodoxe et le pouvoir.

Les « punkettes » furent condamnées à deux ans de camp de travail et un article fut introduit dans le Code pénal sur « l’offense des sentiments des croyants » que Poutine approuva « car il ne faut pas saper les fondements de la morale, détruire le pays ». Il s’agit bien d’un retour aux fondements, même si le poutinisme est un « cocktail idéologique » associant différentes sources (Eltchaninoff, 2015). Plus tard, en mars 2020, Poutine demandera que la référence à Dieu soit introduite dans la Constitution russe, ainsi que  l’interdiction du mariage homosexuel.

Les Pussy Riot sur la place Rouge en 2012
(source Wikipédia)

Ses relations avec l’Église orthodoxe sont renforcées, notamment avec le Patriarche Kirill, qui déclara que la réélection de Poutine était « un miracle ». Le même hiérarque appela également de ses vœux à prier « pour que personne ne puisse détruire la Sainte Russie en lui enlevant l’Ukraine dont la capitale Kiev est le berceau de l’orthodoxie russe » (propos de 2015, cités par Courtois, 2022). En parallèle et bien logiquement, le discours de Poutine devint de plus en plus offensif à l’égard de l’Ukraine. Ainsi, déjà à Valdaï en septembre 2013, Poutine affirmait : « La Russie kiévienne est à l’origine de l’immense État russe. Nous avons une tradition commune, une mentalité commune (…) En ce sens, je veux le répéter encore, nous sommes un seul peuple » (nous soulignons). L’affirmation de la dimension impériale de la Russie va de pair avec l’invocation du passé kiévien et l’importance croissante de l’affichage religieux et des valeurs dites « traditionnelles ».

À l’opposé d’un État-nation aux frontières bornées, la Russie de Poutine est un empire sans limites (« Les frontières de la Russie ne se terminent nulle part », dit-il) qui « se colonise lui-même », fondé sur la nostalgie du passé tsariste et stalinien, affichant un lien avec un garant hétéronome (qu’il soit religieux ou essentialiste ethnique tel le « monde russe »). Et son mouvement idéologique et pratique, comme sous Staline, va vers le primat du collectif – le « nous » des mouvements poutiniens, notamment de jeunesse – sur l’individu, celui du Un (« Russie unie », le nom de son parti) sur la diversité des opinions et celle du débat, et va de l’égalité des sexes vers la domination masculine, le rejet de l’homosexualité, de l’art contemporain, etc. Cette palette du néo-traditionalisme impérial, religieux, ethnique et sociétal (famille, mœurs…) est bel et bien une réactivation que l’on pourrait qualifier de type fondamentaliste.

De plus, cette « fuite en avant vers le passé » semble irrépressible, sans retour possible – autant à l’interne qu’à l’externe. Comme au XXe siècle, sa logique conduit aux frontières du totalitarisme dont elle franchira peut-être les limites. Car pour se maintenir au pouvoir, le régime poutinien n’a pas d’autre issue que de monter sans cesse en intensité, de faire dans la surenchère, comme le montre, par exemple, l’évolution stupéfiante des propos de l’ancien « président libéral » russe, Dmitri Medvedev. Ce qu’illustre également, à l’externe, son expansionnisme territorial en Géorgie, Moldavie et Ukraine (sans oublier la vassalisation du Belarus), avant les pays baltes en cas de victoire en Ukraine.

Sur ce point, sa parenté structurelle avec le stalinisme, le nazisme et le fascisme est frappante, et cette comparaison n’est pas qu’un jugement sommaire et émotionnel. Le régime russe accuse l’Ukraine d’être ce qu’il paraît bien être lui-même, ses ressources discursives étant d’une binarité affligeante. Elles sont particulièrement retorses pour ceux qui s’y laissent prendre, autant à l’extrême droite (par affinités) qu’à l’extrême gauche (par son pavlovisme anti-américain), voire ailleurs.

Livre de Marcel Gauchet
(source Gallimard)

Pour établir cette parenté (qui n’est pas encore identité à ce jour), tournons-nous un instant vers l’analyse que fit Gauchet avec À l’épreuve des totalitarismes. 1914-1974 (2010). Comme nous l’avions écrit dans la recension de ce livre : « Loin d’une vision des régimes totalitaires comme des masses immobiles qui, une fois instaurés, ne pourraient être détruits que par une défaite militaire [mais il y eut Stalingrad qui mit fin à la « fuite en avant » nazie] ou des rapports de force géopolitiques, Gauchet insiste particulièrement sur leur instabilité foncière et leur nécessaire « fuite en avant » apocalyptique (au sens littéral et figuré du mot), consubstantielles de leur essence. »

« Le ressort profond de cette instabilité se situe précisément dans leur religiosité séculière. En effet, celle-ci ne s’appuyant pas sur un garant métasocial transcendant, mais, bien au contraire, sur la croyance de l’avènement de l’Un qui sourd de l’immanence, l’expérience et l’épreuve du réel qui déçoit sans cesse cette promesse débouchent sur un emballement des trajectoires : « Quand ultimement l’objectif est de recréer la conjonction religieuse avec soi par des moyens séculiers, il ne peut y avoir d’autre limite à la projection vers cet impossible que la catastrophe. Le concept de totalitarisme se doit d’intégrer cette dynamique irrépressible à côté de l’ambition du définitif. » »

« Parmi les pages les plus saisissantes du livre, il y a celles où l’auteur décrit et analyse dans ce cadre interprétatif la plongée apocalyptique des régimes bolchevique, fasciste et nazi, « uniques mais comparables » : le Grand Tournant de 1929 débouchant sur les famines de 1932-1933 et la Terreur de 1937 pour le bolchevisme, la radicalisation impériale du fascisme mussolinien à partir de 1934, la fuite en avant guerrière du Troisième Reich, aboutissant à la Shoah. » (De Backer, 2011, citations de Gauchet, 2010, nous soulignons). En comparaison, pourrait-on dire que l’invasion de l’Ukraine est la plongée apoclyptique du poutinisme ? Et son anéantissement pour danger de contagion libérale, « sa Shoah » ?

Certes, « l’ambition du définitif » qui caractérise les régimes totalitaires pour Gauchet, liée à la religiosité séculière et « la croyance en l’avènement de l’Un », est plus difficile à identifier dans l’idéologie poutinienne. Celui-ci agrège de multiples sources, dont une religion non séculière qui est l’orthodoxie, et le soviétisme, surtout stalinien. Mais selon Laruelle (2024), « Le régime russe est fondé sur une idéologie-vision du monde qui est stable et identifiable. » Quelle est-elle ? Il s’agit selon elle d’une « rétrotopie », soit d’une utopie tournée vers le passé.

Livre du sociologue Zygmunt Bauman
(source Premier Parallèle)

L’autrice précise : « Le régime est fondamentalement conservateur : il croit en une ontologie de l’homme qui suppose qu’on ne peut se libérer de notre identité collective — qu’elle soit de genre, de sexualité, de nationalité, de religion — et que le progressisme qui nous dit que ces identités sont socialement construites et donc déconstructibles conduit au nihilisme et donc à la mort de l’individu et du collectif. C’est un régime pessimiste, qui s’inquiète de ce qu’il voit comme le déclin des valeurs de la civilisation européenne (…)  Ce conservatisme s’exprime donc sous la forme d’une obsession pour les méfaits de l’« Occident collectif », un terme qui définit aujourd’hui aussi bien l’Occident politique (…) le libéralisme comme philosophie politique, et le progressisme comme expression de l’individualisme. (…) L’anti-occidentalisme est donc central dans la construction idéologique russe, mais définir cette idéologie uniquement par la négative me semble réducteur. Il y a un projet politique pour la Russie et le monde : une vision du monde ontologiquement conservatrice qui veut défendre une Europe « authentique » contre ce qui est vu comme les « perversions » du libéralisme et promouvoir un monde qui ne serait plus fondé sur l’internationalisme libéral (Laruelle, 2024, je souligne). »

Il s’agit donc clairement d’une utopie tournée vers le passé, un passé perçu comme ontologiquement (concernant les fondements de l’être) « authentique » qui est menacée par la modernité occidentale et ses perversions – dont celle du genre et de la famille est sans doute la plus centrale et visible au niveau sociétal. C’est donc bien une réactivation des fondements sociétaux et individuels authentiques, « ontologiques », en réaction aux dangers de l’occident libéral animé par la fluidité (une société liquide, selon le sociologue Zygmunt Bauman), les transformations incessantes, l’individualisme, le débat démocratique et le futur comme horizon sociétal. L’ambition du  définitif, pour reprendre l’expression de Gauchet, serait celle de rejoindre ce passé authentique et de vaincre le « démon moderne ». L’Ukraine est bien évidemment au cœur du projet, car, outre la réunification impériale avec son fondement supposé, c’est par elle que le « démon moderne » menace la Russie. Le « nazisme » dans le narratif poutinien, c’est en quelque sorte la modernité dissolvante.

Cette plongée apocalyptique, vers l’Un de l’ontologie conservatrice de l’idéologie poutinienne, rejoint d’une certaine manière l’analyse faite par Bruno Tertrais dans le chapitre « La chute finale » de La guerre des mondes (Tertrais, 2023). En effet, ce dernier établit des scénarios possibles du devenir de la Russie poutinienne. Pour lui, « on voit de moins en moins bien comment la Russie pourrait sortir par le haut de son aventure ukrainienne (…) La mécanique de la guerre totale se met en place (…) Le régime russe présente bel et bien, aujourd’hui, de nombreuses caractéristiques du fascisme, la dimension révolutionnaire exceptée (…) C’est donc « le crépuscule de l’impérialisme russe » qui se profile pour les années qui viennent ». Deux des scénarios – le premier, celui de l’Allemagne après 1945, est jugé peu probable par manque  de tradition démocratique – sont très sombres : le scénario nord-coréen, soit « l’enfermement et la radicalisation de la Russie » (…) « dans un état de guerre permanent » ; le scénario somalien, celui du « trou noir », la Russie « pourrait tomber d’une falaise » (selon A. Marshal, prospectiviste américain cité par Tertrais) et « sombrer dans le totalitarisme (…) tituber vers la catastrophe » (Tetrais, op. cit., souligné par l’auteur).

Livre de Bruno Tertrais
(source Editions de l’Observatoire)

C’est aux portes de ces « sombres futurs » (Tertais, op. cit.) – « le « malheur russe » est de retour », écrivent Ackerman et  Courtois – que nous sommes, mais la Russie n’est pas la seule concernée. L’Ukraine, nous l’avons vu, est au cœur de son projet politique identitaire, de son action militaire impériale à visée génocidaire (culturelle, au moins). Elle risque d’être engloutie dans cette chute qui menace aussi l’Europe. Poutine a brûlé ses vaisseaux et il n’y a pas, à notre avis et selon celui de plusieurs observateurs, de retour en arrière ni de « négociations » possibles. Ce sont des fondements qui sont en jeu. Mais il s’agit bien d’un néo-fondamentalisme ou néo-traditionalisme, pas d’un retour vers un « ancien régime ». C’est un mixte, une « formation de compromis » idéologique défensive des « structures de force », une autre forme de « poison de Poutine » (Deschamps, 2024) constituant une source de son instabilité et danger redoutables.

 Bernard De Backer, mars 2024

Mes remerciements à Pierre Hanjoul et Vincent Kersten pour leur relecture attentive.

Complément du 15 avril 2024. Françoise Thom, La grande imposture russe, Desk Russie, 14 avril 2024. Chapeau de l’article : « Les propagandistes russes accusent l’Europe d’avoir perdu ses valeurs et prétendent que la Russie en est désormais la dépositaire. Ce discours trouve un écho chez certains conservateurs. Dans cet essai, notre autrice se penche sur la manière dont, bien loin de défendre une « civilisation » européenne, le régime Poutine s’est transformé en « une secte eschatologique conduite par un gourou dément (…) La métamorphose de la Russie poutinienne en secte eschatologique couvait depuis longtemps. On se souvient que Poutine avait déclaré en novembre 2018 qu’en cas de guerre nucléaire, « nous, en tant que victimes d’une agression, nous, en tant que martyrs, irons au paradis, et eux [les ennemis de la Russie] mourront tout simplement. Parce qu’ils n’auront même pas le temps de se repentir. » Aujourd’hui, il se compare implicitement à Jésus Christ, invitant les éducateurs de la jeunesse à devenir « pêcheurs d’âmes ». La guerre contre l’Ukraine a précipité ce processus aujourd’hui visible à l’œil nu ».

Note du 18 mars 2024. La « réelection » de Poutine le 17 mars n’augure rien de bon et va dans le sens de cet article. Le Monde titrait : Vladimir Poutine, renforcé et tout-puissant, reçoit un nouveau mandat de chef de guerre. A l’issue de l’élection présidentielle, le chef du Kremlin a été reconduit avec un score exceptionnellement élevé de 87 % des suffrages, selon des chiffres quasi définitifs. Aucune inflexion n’est à attendre de sa part, notamment sur le front de la guerre en Ukraine. » Sans trop jouer les Cassandre, on voit difficilement comment l’Europe occidentale pourra éviter une confrontation militaire directe, cela en cas d’enfoncement du front ukrainien, sauf à accepter le déshonneur et la vassalisation. Et la réduction des « sous-Russes » de l’Ukraine, devenue une colonie de peuplement, à une forme d’esclavage.

Dernière minute. « Je n’ai commis aucun crime. Je suis jugé pour un article de presse dans lequel j’ai qualifié le régime politique établi en Russie de totalitaire et de fasciste. Cet article a été écrit il y a plus d’un an. À l’époque, certaines de mes connaissances pensaient que j’exagérais. Mais aujourd’hui, il est évident que je n’exagérais pas. Dans notre pays, l’État contrôle à nouveau non seulement la vie sociale, politique et économique, mais il revendique également un contrôle total sur la culture, la pensée scientifique et envahit la vie privée. Il devient omniprésent. » Déclaration d’Oleg Orlov, co-président de Memorial, à l’issue de son procès. (nous soulignons)

Je viens de retrouver cet extrait dans un de mes articles (pp. 60-61) : « Furet ou Gauchet, qui interprètent la naissance des totalitarismes en Europe comme une réaction au caractère dissolvant de la modernité et de la démocratie pluraliste, à l’individualisation « bourgeoise » de l’existence, cela dans le contexte particulier de l’effondrement de 14-18 et du traité de Versailles. » (je souligne)

P.S. Ce qui se passe en Russie ne peut être déconnecté du reste du monde, notamment de la décolonisation culturelle du « Sud global ». Le néo-fondamentalisme (pour faire court) est actif un peu partout sur la planète, notamment : dans le monde arabe (voir l’analyse de Gauchet, 2015), l’Inde, la Chine, la Turquie, l’Iran… Par ailleurs, la crainte de la « fuite en avant » de la modernité libérale « liquide », évoquée en début d’article, touche aussi l’Occident, avec ses diverses expressions politiques conservatrices, religieuses, intellectuelles – qui viennent en appui au régime russe.

Une des rares notations géopolitiques de Julien Gobin dans le livre cité est consacrée à la guerre en Ukraine : « La crise climatique, la pénurie des ressources ou encore le choc des civilsations auront-ils raison de cette créature (ndlr : la nouvelle civilisation transhumaniste anticipée par Gobin) avant l’éclosion de la chrysalide ? C’est ce que pourrait laisser croire la guerre en Ukraine, un « grand évènement » (ndlr : expression de Nietzsche). (…) Dans ce conflit, le pouvoir russe n’apparaît-il pas comme l’archétype de l’Homo sapiens de l’ancien monde ? » (L’individu fin de parcours ?, pp. 291-292)

Ukraine : nous ne pouvons baisser les bras. Tribune publiée dans plusieurs journaux européens, dont Le Soir, The Lituania Tribune, Die Tageszeitung, Linkiesta, Diari Ara, Zbruc, U4U

Sur l’Eurasisme (livre découvert après l’écriture de ce texte, mais nous avons déjà consacré un article à cette idéologie dans La Revue nouvelle en 2015) : Foundations of Eurasianism: Volume I, Prav. Publishing, 2020

Un tweet significatif de Bruno Tertrais

Complément du 15 mars 2024. Soutien à l’Ukraine : Claude Malhuret étrille les « troupes de Poutine en France », Public Sénat (France)

Complément du 16 mars 2024. Sergueï Medvedev, historien : « La société russe s’est construite sur le code d’honneur de la pègre », Le Monde, 16 mars. Extrait : « Ne nous voilons pas la face : le système stalinien n’était, ni plus ni moins, qu’une variante du fascisme. Malheureusement, la seconde guerre mondiale n’a pas été menée à son terme. Un totalitarisme a été détruit, l’autre est resté. Vladimir Poutine en est l’incarnation, il est indéniablement l’héritier du fascisme stalinien. » (nous soulignons)

Le fichier du texte en version pdf


[1] Extrait de la présentation du livre par l’éditeur : “Entre 2016 et 2022, le nihilisme occidental a fusionné avec celui de l’Ukraine, né, lui, de la décomposition de la sphère soviétique. Ensemble, OTAN et Ukraine sont venus buter sur une Russie stabilisée, redevenue une grande puissance, désormais conservatrice, rassurante pour ce Reste du monde qui ne veut pas suivre l’Occident dans son aventure. Les dirigeants russes ont décidé une bataille d’arrêt : ils ont défié l’OTAN et envahi l’Ukraine.”

[2] On pourra à ce titre citer cette proclamation de la Tchéka de Kiev : « Notre moralité n’a pas de précédent, notre humanité est absolue car elle repose sur un nouvel idéal : détruire toute forme d’oppression et de violence. Pour nous tout est permis, car nous sommes les premiers au monde à lever l’épée non pas pour opprimer et réduire en esclavage, mais pour libérer l’humanité de ses chaînes. Du sang ? Que le sang coule à flots ! Puisque seul le sang peut colorer à tout jamais le drapeau noir de la bourgeoisie pirate en étendard rouge, drapeau de la Révolution. Puisque seule la mort finale du vieux monde peut nous libérer à tout jamais du retour des chacals » Krasnyi Metch (Le Glaive rouge) n°1, 18 août 1918.

[3] « En schématisant à l’extrême, cette structuration hétéronome se laisse ramener à quatre traits : tradition, domination, hiérarchie, incorporation » (Gauchet, 2017).

Sources et rérérences

Ackerman G. et Courtois S. (dir.), Le livre noir de Vladimir Poutine, Robert Laffont, 2022
Ackerman Galia, « Une société pseudo-conservatrice qui marche à reculons », in Ackerman G. et Courtois S. (dir.), Le livre noir de Vladimir Poutine, Robert Laffont, 2022
Cibotaru Veronica, « Église orthodoxe russe : « La guerre en Ukraine ne serait rien d’autre qu’un combat métaphysique contre une force du mal », Le Monde, 30 mars 2022
Courtois Stéphane, « La fuite en avant de Vladimir Poutine vers le passé », in Ackerman G. et Courtois S. (dir.), Le livre noir de Vladimir Poutine, Robert Laffont, 2022
De Backer Bernard, « Viktor contre Viktor ? », Opinion publiée dans La Libre Belgique, 9 décembre 2004 (extrait : « Mais l’enjeu est énorme. La Russie de Poutine y défend l’héritage impérial russe et une conception autoritaire du pouvoir, quitte à encourager des séparatismes en Ukraine orientale, à l’image de la Transnistrie à l’Est de la Moldavie. » (C’était en 2004, 10 ans avant la guerre au Donbass et l’annexion de la Crimée et 18 ans avant l’invasion de 2022)
Deschamps Jennifer, « Les poisons de Poutine », Arte, 16 février 2024
Éditorial du journal Le Monde, « Poutine : le choix du jusqu’au-boutisme », 1er octobre 2022
Eltchaninoff Michel, Lénine a marché sur la lune. La folle histoire des cosmistes et transhumanistes russes, Solin/Actes Sud, 2022
Eltchaninoff Michel, Dans la tête de Vladimir Poutine, Éditions Solin/Actes Sud, 2015
Eltchaninoff Michel et Truong Nicolas, « Vladimir Poutine mène une guerre de civilisation », estime l’essayiste Michel Eltchaninoff, Le Monde, 20 mars 2022
Gauchet Marcel, « L’attraction fondamentaliste », Dans Figures de la psychanalyse 2017/2 (n° 34), Éditions Érès
Gauchet Marcel, « Les ressorts du fondamentalisme islamique », Le Débat, n° 185, 2015/3
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Tertrais Bruno, « La chute finale », dans La guerre des mondes, Éditions de l’Observatoire, 2023
Vitkine Benoît, « En Russie, des frontières en pleine effervescence », Le Monde, 24 février 2024
Vitkine Benoît, « Deux ans de guerre en Ukraine : en Russie, la militarisation à marche forcée de l’éducation », Le Monde, 23 février 2024
Vitkine Benoît, « En Russie, féminiser les noms, premier pas vers « l’extrémisme LGBT » » pour la Cour suprême, Le Monde, 29 janvier 2024
Vitkine Benoît, « En Russie, le féminisme assimilé à une « idéologie extrémiste » », Le Monde, 17 avril 2023
Vitkine Benoît, « En Russie, le droit à l’avortement attaqué et rogné sur fond de déclin démographique », Le Monde, 28 novembre 2023
Vitkine Benoît, « En Russie, la cyberguerre pour la vertu d’Ekaterina Mizoulina », Le Monde, 8 octobre 2023
Vitkine Benoît, « En Russie, le nouveau souffle des idéologues », Le Monde, 5 avril 2022

Sur Routes et déroutes

De Backer Bernard, « Aux couleurs de Novgorod », Routes et déroutes, février 2023
De Backer Bernard, « Retour au livre de Samuel », Routes et déroutes, février 2022
De Backer Bernard, « Le mystère Oulianine », Routes et déroutes, avril 2019
De Backer Bernard, « Que faire de Lénine ? », La Revue nouvelle, octobre 2017
De Backer Bernard, Ingerflom Claudio, Le tsar, c’est moi. L’imposture permanente d’Ivan le Terrible à Vladimir Poutine, recension dans La Revue nouvelle, 4/2016
De Backer, Bernard, « Eurasisme, revanche et répétition de l’histoire », La Revue nouvelle, 3/2015
De Backer Bernard, « Les vieux habits du président Poutine », La Revue nouvelle, novembre 2014
De Backer Bernard, « Apocalypse pour tous », La Revue nouvelle, septembre 2013
De Backer Bernard, recension de Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie, III. À l’épreuve des totalitarismes. 1914-1974, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », La Revue nouvelle, avril 2011

2 réflexions sur “Poutinisme, réactivation fondamentaliste ?

  1. Merci pour cette analyse, Bernard, qui n’invite guère à l’optimisme hélas. On parle de poutinisme. Cela signifie-t-il que sans lui la Russie pourrait sortir de ce néo-fondamentalisme ? Un autocrate par définition gouverne seul et n’a pas de dauphin. Sans lui, point de salut, point d’avenir. Et donc après lui (si ça arrive un jour) ? Les Russes auront-ils besoin d’un nouveau guide suprême ? On sait que Poutine entend rester président jusqu’en 2036. Ou peut-être 2052, il sera alors centenaire… Et plus personne non plus pour le contester. La critique la plus minime, la plus innocente vue de chez nous est durement réprimée. Oui, l’avenir russe est sombre. Pour tout le monde.

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  2. Je pense que « le poutinisme » dépasse largement la personne individuelle de Poutine. Outre « le cercle » autour de lui et les ziloviki (structures de forces), il est soutenu par à peu près 70% des Russes (si l’on peut encore croire les sondages en Russie). Et son idéologie, opposée à la démocratie libérale européenne, a des racines historiques et culturelles profondes, que j’ai synthétisées dans mon article sur L’Eurasisme. Dès lors, je pense qu’il n’y a pas d’autre solution pour l’Europe (Ukraine comprise), non seulement que de le contenir dans ses appétits impériaux (à l’externe comme à l’interne), mais surtout que de lui infliger une défaite militaire cuisante. Cela nécessitera peut-être un engagement plus fort de notre part. Sur cet aspect, je partage le fond du point de vue exprimé par Macron (et qui était le mien avant de l’entendre). Quand à la forme d’expression de son point de vue, c’est une autre histoire…

    P.S. Par ailleurs, on ne peut pas comprendre l’évolution politique du régime russe en dehors des évolutions géopolitiques et géoculturelles mondiales. Des phénomènes apparentés de rejet de l’Occident sont à l’oeuvre un peu partout dans « le Sud Global » : Turquie, Iran, Chine, Inde, monde arabe, etc. Tout cela avait été anticipé au siècle précédent par Samuel Huntington dans « Le choc des civilisations ».

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