Le point de vue du virus

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Quel avantage évolutif un microbe tire-t-il du fait de nous rendre malades de manière bizarre, par exemple de provoquer des plaies génitales ou des diarrhées ? Et pourquoi faut-il que les microbes évoluent au point de devenir meurtriers ? Cela paraît particulièrement déroutant et suicidaire puisqu’un microbe qui tue son hôte se condamne lui-même.

Jared Diamond, Guns, Germs and Steel. The Fate of Human Societies

De nombreuses inconnues entourent encore la pandémie provoquée par le SRAS-CoV-2 (Covid-19 est la maladie), de la famille des Coronavirus, ceux qui portent une couronne. Nous ne projetons pas ici de parler principalement du virus en tant que tel, de ses origines, de sa diffusion, de ses effets morbides, des manières de s’en prémunir ou d’y faire face, mais d’abord de comprendre ses « intérêts ». Notamment du dernier en date, en partant des autres en général. Non pas avec un regard animiste, avec lequel on évoquerait son intériorité et ses actes de vengeance, mais bien de la bio-logique qui sous-tend son existence et sa diffusion auprès des êtres vivants, dont les humains. Y compris ceux qui, tout en étant porteurs du virus, sont asymptomatiques. Comme le furent les Conquistadors, décimant des millions d’Amérindiens sans savoir comment.

Une relecture d’un chapitre particulièrement éclairant du livre du biologiste et géographe Jared Diamond, Guns, Germs and Steel. The Fate of Human Societies[1] (1997, Prix Pulitzer 1998), titré « Le don fatal du bétail » nous donne les premières indications. L’auteur a en effet la bonne idée d’aborder d’abord la question « du point de vue du virus » pour mieux comprendre la logique des épidémies, de leurs développements et de leurs extensions à travers le monde, ainsi que de leurs arrêts ou de leurs rémissions. Le livre de Diamond trouve sa source dans l’interrogation d’un homme politique de Nouvelle-Guinée, son ami Yali, avec lequel le biologiste se promène un jour sur une plage : « Pourquoi est-ce vous, les Blancs, qui avez mis au point tout ce cargo[2] et l’avez apporté en Nouvelle-Guinée, alors que nous, les Noirs, nous n’avons pas grand-chose à nous ? » La question directe soulève celle des sources du développement inégal des sociétés humaines et, par là, des phénomènes de domination coloniale, mais également de contamination microbienne ou virale entre elles[3].

Élevages et microbes

En bon biologiste et géographe, Jared Diamond va s’attacher principalement aux causes et conditions environnementales et physiques de cette inégalité, en se centrant notamment sur la production alimentaire végétale et animale. Ce que nous avons l’habitude d’appeler la révolution néolithique, qui introduisit très lentement – le mot « révolution » est dès lors inadéquat –  l’agriculture et l’élevage à la place de la chasse et de la cueillette, voire bien souvent à côté d’elles. C’est dans ce contexte qu’il analyse un des termes de son titre, Germs, leur développement avec l’élevage et sa fonction effective d’arme de destruction massive lors des aventures coloniales (Wacthel, 1972 ; Todorov, 1982 ; Descola, 2020). Mais une arme ignorée de tous, le rôle des « microbes » dans les épidémies n’ayant été découvert qu’au XIXsiècle par Koch et Pasteur (Perrot et Schwartz, 2014). Le même phénomène se serait produit ailleurs, notamment en Chine selon Diamond, à la fois en interne auprès de populations de chasseurs-cueilleurs après la domestication des porcs et l’expansion des Hans, et en externe – la « peste bubonique » européenne serait d’origine chinoise en passant par l’Asie centrale (route de la soie).

Ce que confirme, plus près de nous, Jean-François Guégan (directeur de recherche à l’INRAE[4], 2020). « Depuis les débuts de notre civilisation, l’origine des agents infectieux n’a pas varié. Les premières contagions sont apparues au néolithique, vers 10.000 à 8.000 av. J.-C., en Mésopotamie inférieure – aujourd’hui l’Irak –, lorsqu’on a construit des villes dont les plus grandes pouvaient atteindre vingt mille habitants. On a ainsi offert de nouveaux habitats aux animaux commensaux de l’homme, ceux qui partagent sa nourriture, comme les arthropodes, les mouches, les cafards, les rats, qui peuvent lui transmettre des agents. Pour nourrir les habitants des villes, il a fallu aussi développer l’agriculture et l’élevage en capturant des animaux sauvages, créant ainsi les conditions de proximité pour le passage vers l’humain de virus et de bactéries présents chez ces animaux ou abrités dans les sols ou les plantes et leurs systèmes racinaires. » Ce qui n’empêche pas que des épidémies virales aient pu exister chez les chasseurs-cueilleurs, mais de manière très limitée.

Diamond ne s’intéresse pas aux seuls virus, mais à tous les « microbes » invisibles et longtemps inconnus, sources d’infections et de maladies, dont principalement les bactéries et les virus (mais également les parasites ou les mycoses). Notons d’entrée de jeu que les bactéries sont des êtres souvent unicellulaires, découverts par Koch et Pasteur au XIXe siècle, et visibles au microscope optique. Les virus, quant à eux, n’ont pas de structure cellulaire et sont nettement plus petits et invisibles à ce microscope (Pasteur les appelait « infrabactéries »). S’ils furent également identifiés au XIXsiècle, il faudra attendre le microscope électronique (1930) pour les observer et les décrire.

Contrairement à la bactérie, le virus n’est pas une entité biologique autonome. Il a besoin de s’introduire dans un être vivant, humain, plante ou animal, pour détourner à son profit le fonctionnement d’une cellule. La plupart des virus séparés de leur hôte ne résisteraient de manière active que quelques heures. Sa propagation est par ailleurs tributaire de la densité et de la mobilité de ses hôtes. Ce qui signifie que la croissance démographique associée à celle des mouvements humains de diverses natures (économiques, religieux, migratoires, militaires, etc.), favorisent sa diffusion, et ceci dès l’origine. La chose qui a changé depuis dix millénaires, ce n’est pas tant ce principe initial que l’ampleur et la rapidité de sa diffusion à travers le monde, donnant naissance aux pandémies – sans oublier l’élevage industriel depuis les années 1970, pour faire face à une croissance démographique humaine vertigineuse (François Moutou interviewé par Roger-Lacan, 2020).

« Survivre » et se multiplier

Mais revenons au virus, et d’abord à son être biologique. Son statut dans l’ordre du vivant est toujours discuté, car il s’agit d’un « organisme » qui n’atteint pas le stade de la cellule, mais seulement celui d’un ADN ou d’un ARN, son génome. Il est enveloppé d’une capside, une structure protéique qui protège le génome. Certains virus comportent également un péplos, une membrane extérieure. Il s’agit soit d’une quatrième branche du vivant, à côté des archéobactéries (ou Archées), des bactéries et des eucaryotes (tous les êtres uni- ou pluricellulaires, dont nous), soit d’une entité non vivante ou abiotique, ayant un statut intermédiaire dans l’évolution, précédant les bactéries. Rappelons cependant que les virus ne peuvent se reproduire seuls. Comment auraient-ils dès lors pu survivre avant l’existence des bactéries et autres vivants ? Selon Charbonnier et Launois (CIRAD, 2011) à propos du virus de la fièvre aphteuse et en parlant de « son point de vue » : « Ma présence sur Terre remonte probablement à l’apparition des Artiodactyles, la branche des mammifères aux  deux  doigts à chaque pied, entre 5 et 25 millions d’années avant  notre ère. J’ai vécu aux dépens des animaux sauvages bien avant l’invention de l’élevage par l’homme, voici 6 000 à 8 000 ans. »

Les virus sont innombrables (notamment dans les océans, où « vivraient »[5] près de deux cent mille types de populations virales) et seule une minorité d’entre eux cohabitent avec les humains. Encore moins nombreux (129 selon un comptage de 2018) sont ceux qui génèrent des « maladies », soit la réaction du corps humain infesté, et, par conséquent, des épidémies à plus ou moins grande échelle. Ce sont ces derniers qui nous intéressent, mais il était important de les situer dans un ensemble infiniment plus vaste, qui comporte également les virus présents dans les plantes et les animaux, dont certains peuvent « migrer » vers les humains et inversement (c’est ce que l’on appelle respectivement la phytonose et la zoonose). C’est ce qui s’est sans doute passé au marché d’animaux sauvages à Wuhan, mais également pour la rougeole, la rage ou le sida. Enfin, le corps d’un être humain moyen en bonne santé (asymptomatique) hébergerait des milliards de virus, principalement bactériophages. La question est pour le moins complexe et tortueuse, certains virus étant utiles, voire nécessaires, à la vie humaine.

Poivron infescté par virus

Poivron infecté par un virus (source Wikipedia)

Ce n’est donc pas « le virus » en général qui constitue le sujet de ce texte, mais bien « le méchant virus », celui qui provoque des réactions morbides et parfois mortelles chez l’humain, et ce d’autant qu’il se répand dans des populations nombreuses. Le SRAS-CoV-2 est de ceux-là. La question que l’on peut dès lors se poser est de savoir pourquoi un virus aurait intérêt à rendre malade, voire à tuer, les populations dont il dépend ? Ceci d’autant que de nombreuses populations animales (pensons aux chauves-souris, dont un des anagrammes est curieusement « souche à virus ») et humaines sont asymptomatiques. Et que de nombreux virus sont inoffensifs, sans se porter plus mal. Et même pire : des porteurs asymptomatiques peuvent contaminer mortellement leurs semblables, alors que des mourants peuvent infecter des personnes qui resteront en bonne santé.

Pour démêler un peu cette étrange question, commençons par suivre les pas de notre premier guide, Jared Diamond. Comme tout être vivant, et quel que soit par ailleurs le statut biologique incertain des virus, les « microbes » suivent une logique découverte et théorisée par Darwin : ils survivent et se multiplient en s’adaptant à leur environnement, par sélection naturelle via leurs mutations. Ceci tout en sachant qu’il ne s’agit pas d’êtres rationnels qui opèrent des choix conscients pour optimiser leurs avantages. Il y a donc une large part de « hasard et de nécessité » dans leur mutation et leur sélection, pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre du biologiste Jacques Monod (1970)[6]. Enfin, nous ne nous intéressons ici qu’aux virus néfastes aux humains et qui l’ont prouvé dans l’histoire.

Contaminations

Comme les virus ne peuvent « vivre » sans leur hôte – végétal, animal ou humain –, ils peuvent soit demeurer dans leur organisme de manière plus ou moins « pacifique » en ne se multipliant pas trop, freinés par les anticorps de l’hôte, soit l’envahir et provoquer une série de symptômes que l’on nomme maladie virale ou virose (grippe, rhume, rougeole, dengue, rage, sida, fièvre jaune, SRAS, covid-19, etc.). Dans plusieurs cas, la maladie peut être mortelle et l’on peut effectivement se demander quel est « l’intérêt » du virus à provoquer la mort de l’hôte. Pour reprendre les termes de Jared Diamond (2000) : « Quel avantage évolutif un microbe tire-t-il du fait de nous rendre malades de manière bizarre, par exemple de provoquer des plaies génitales ou des diarrhées ? Et pourquoi faut-il que les microbes évoluent au point de devenir meurtriers ? Cela paraît particulièrement déroutant et suicidaire puisqu’un microbe qui tue son hôte se condamne lui-même. »

Si l’on exclut l’interprétation animiste, magique ou religieuse – très présente jusqu’à la découverte des bactéries et des virus –, voire « la vengeance de la planète »[7], seuls les avantages procurés en termes de propagation du virus peuvent entrer en ligne de compte. En d’autres mots, le processus de sélection naturelle avantage le virus dont la mutation favorise une meilleure expansion, donc produit davantage de sujets infectés.

Les symptômes de la maladie sont souvent ceux qui permettent d’infecter le plus d’hôtes possibles, voire de passer d’un type d’hôte à l’autre dans le cas des phytonoses et des zoonoses. La toux, les vomissements, les diarrhées, les morsures compulsives (la rage), les liquides et solides corporels facilitant la transmission du virus d’un hôte à l’autre, jusqu’à provoquer des épidémies massives. Le virus qui se propage le plus est celui qui sortira vainqueur de la sélection naturelle. Tout en sachant que la diffusion peut également se faire par ingestion d’aliments d’origine animale – voire même humaine dans le cas de « la maladie du rire » (kuru, Nouvelle-Guinée) se transmettant par ingestion de chair humaine.

Bien entendu, « la maladie » est aussi la réaction de l’hôte à cette invasion, et elle sera donc très variable selon les caractéristiques de l’individu : âge, sexe, traits génétiques, comorbidité, etc. Sans oublier une immunité acquise par une contamination antérieure et éventuellement transmise de génération à génération, notamment par la cohabitation de plusieurs générations sous le même toit (François Moutou et Fréderic Keck interviewés par Roger-Lacan, 2020). Il y a donc une part de hasard et de contingence qui préside à la naissance, puis à la propagation d’une épidémie. Des régions et des populations entières peuvent être épargnées, alors que d’autres sont dévastées, et ceci à soins et conditions apparemment égales. Sans parler des conditions favorables ou défavorables à la zoonose – la migration d’un virus d’une espèce animale à l’espèce humaine. Mais une fois que l’épidémie est lancée, on connaît les facteurs qui en favorisent la diffusion, locale, régionale ou mondiale : densité de la population hôte, promiscuité, fragilité, mobilité.

Coronistadors

Dans le cas du SRAS-CoV-2, il s’agit d’une zoonose d’origine animale et dont les effets affectent principalement les poumons, d’où le nom générique de SRAS : « syndrome respiratoire aigu sévère ». Le SRAS-CoV-1 est apparu en Chine en 2002 dans la province de Guangdong (capitale Canton). Il serait originaire d’un marché aux animaux (tout comme le SRAS-CoV-2), en particulier de « civettes palmistes à masque », capturées à l’état sauvage ou produites dans des fermes d’élevage de civettes. Il s’agit de mammifères rares, vendus sur les marchés chinois comme aliments ou comme remèdes (Fontanet, « Coronavirus du SRAS : le virus venu de nulle part », Collège de France, février 2019). C’est « une répétition de ce qui pourrait nous arriver », dit Fontanet un an avant l’éclatement du Covid-19.

Civette palmiste masquée

Civette palmiste à masque (source Wikipedia)

Le SRAS-CoV-2, à la base de la maladie du Covid-19, serait, quant à lui, probablement originaire du marché aux animaux sauvages de Huanan (sans doute en provenance du pangolin, peut-être d’origine africaine dans le cadre d’un trafic international, voir Caramel, Baudet et Gourlay, 2020). Dans les deux cas, la zoonose semble attestée (la thèse de la créature de laboratoire étant écartée par l’immense majorité des experts, Hecketsweiler 2020), en passant peut-être par plusieurs espèces animales au départ de la chauve-souris. Ce qui est certain, c’est que la proximité intime des marchands chinois et de leurs clients avec ces animaux sauvages entassés dans des cages a favorisé le franchissement de la « barrière inter-espèces », puis la contamination d’humain à humain[8]. En outre, la densité de la population dans la ville de Wuhan (8,9 millions d’habitants et 5.825 hab./km2) et dans la province de Hubei (59 millions d’habitants et 318 hab./km2) a permis le « départ de feu » de l’épidémie qui s’est ensuite propagée par les voies de communications internationales, surtout aériennes, la province de Hubei étant industriellement très liée à l’Europe, notamment la France et l’Italie.

La suite de l’épidémie est connue et ce n’est pas notre objet que de nous y attarder. Ce qui nous importe ici, c’est ce qui s’est passé avant la diffusion mondiale du Covid-19, avec les causalités afférentes. Le virus SRAS-CoV-2, comme beaucoup d’autres, était présent dans diverses espèces animales, subissant des mutations comme toutes les espèces vivantes. L’une d’entre elles lui a permis de franchir la barrière inter-espèces et de contaminer l’homme, cela dans un contexte de grande promiscuité humaine et animale. Les humains contaminés ont réagi par différents symptômes face à l’infection pulmonaire, dont la projection de gouttelettes qui a permis la dispersion aérienne du virus dans un milieu urbain particulièrement dense. Les conséquences, nous les connaissons à peu près : apparition des premiers cas de Covid-19 en novembre 2019 à Wuhan, étouffement des lanceurs d’alerte, confinement total de la ville puis de la province de Hubei avant le Nouvel-An chinois (le 25 janvier en 2020), diffusion en Asie orientale (Corée du Sud, Singapour, Taiwan, Japon), incrédulité des autorités européennes puis américaines, épidémie massive dans le nord de l’Italie, etc.

D’une certaine manière, ce qui se joue aujourd’hui est du même registre que ce qui se jouait lors de la « révolution néolithique » : proximité accrue avec le monde animal et instrumentalisation de celui-ci par les humains, rupture de la barrière inter-espèces, croissance démographique, mobilité accrue, urbanisation. Mais cela avec une accélération mondiale continue des processus, un développement de l’élevage industriel et une réduction des espaces non-anthropisés (comme la destruction des forêts primaires), ce qui conduit à l’émergence de nouveaux virus en provenance d’animaux sauvages contre lesquels nous ne possédons pas d’immunité (voir « Global trends in emerging infectious diseases », Nature, 21 février 2018). Il s’agit donc, pour paraphraser Jared Diamond, d’un « don fatal du commerce des animaux sauvages » associé à la mondialisation économique et humaine, voire du « développement humain » en général. L’être humain qui est une sorte de « virus de la planète », instrumentalisant ses ressources pour sa croissance et sa propagation (selon Descola, 2020, voir aussi De Sutter, 2020).

Mais si l’urbanisation et la mondialisation sont un accélérateur foudroyant des pandémies (mais aussi des moyens de les combattre), c’est bien une certaine forme de médecine[9] et de gastronomie chinoise qui semble à l’origine des dernières en date. C’est par ces diverses médiations que la « stratégie » et la « pulsion de vie » d’un organisme invisible a fini par confiner près de la moitié de l’humanité, et tuer plusieurs centaines de milliers de personnes. Et ce développement viral, lié à une certaine forme de développement humain, n’est sans doute pas fini, comme l’annonçait Fontanet au Collège de France en février 2019.

Bernard De Backer, mai 2020

Pour télécharger le fichier pdf du texte : RD Le point de vue du virus

Complément du 28 mars 2021. Jean-Pierre Dupuy : « Ce virus est malin, il a compris que s’il tuait son hôte, il se suicidait ». « Fâché par les propos de certains de ses confrères minimisant la gravité de la pandémie, le philosophe des sciences passe l’argumentaire des « rassuristes » à l’épreuve de la réflexion logique. Et rétablit quelques vérités. », dans L’Express du 21 mars 2021. Voir également Répliques du 27 mars 2021, La catastrophe du coronavirus, avec Jean-Pierre Dupuy et Jean-Pierre Le Goff, animé par Alain Finkielkraut.

Complément du 26 mars 2021. L’offensive de Pékin pour faire oublier le « virus chinois ». « Sur les réseaux sociaux ou auprès des enquêteurs de l’OMS, la Chine s’est lancée depuis plus d’un an dans une véritable guerre informationnelle sur les origines du Covid-19. » Stéphane Foucart, Le Monde 26 mars.

Complément de janvier 2021. « L’une des leçons du Covid-19 est que la catastrophe n’est pas complètement à exclure ». Même si la pandémie devrait finir par être maîtrisée, les grands périls environnementaux, eux, génèrent une lente dérive, dont tout porte à penser qu’elle sera sans retour, alerte dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ». Extrait : « Il suffit pourtant de réécouter le cours donné le 18 février 2019 au Collège de France par l’épidémiologiste Arnaud Fontanet (CNAM, Institut Pasteur) pour comprendre à quel point le potentiel catastrophique d’une pandémie semblable à celle que nous vivons était présent à l’esprit des chercheurs travaillant sur le sujet. Evoquant la pandémie de 2002-2003 due au SARS-CoV-1, Arnaud Fontanet se défendait alors de tout discours alarmiste en disant que cet épisode pandémique avait été « une grande répétition par rapport à ce qui pourrait nous arriver ». « On peut finalement dire qu’on a eu beaucoup de chance, ajoutait-il. Si l’épidémie a été contenue relativement rapidement, cela tient à quelques propriétés du virus, qui auraient pu être tout à fait différentes. » » Le Monde du 2 janvier 2021.

Complément de mai 2020Coronavirus : ce que les grandes épidémies disent de notre manière d’habiter le monde, par Arianne Chemin dans Le Monde du 21 mai. « Comme la peste ou la grippe espagnole, le Covid-19 a envahi le monde en épousant les déplacements des hommes. S’il l’a fait, cette fois, à la vitesse de l’éclair, c’est parce que la planète est devenue une nébuleuse urbaine hyperconnectée. » Un bon résumé documenté de la problématique, telle que résumée dans notre article. Philippe Descola : « Nous sommes devenus des virus pour la planète », interview dans Le Monde du 20 mai 2020. « On ne peut plus seulement définir l’épidémie comme grand personnage archaïque de l’“histoire d’hier” », interview de l’historienne Françoise Hildesheimer par Françoise Fressoz dans Le Monde du 15 mai. « Peste bubonique, choléra, fièvre typhoïde, grippe espagnole… L’historienne Françoise Hildesheimer retrace, dans un entretien au « Monde » l’histoire des épidémies et leurs conséquences jusqu’à aujourd’hui dans notre conception de la santé, du sanitaire et de la science. » Extrait : « Une bonne partie de l’histoire humaine peut être vue comme une coévolution entre les hommes, les animaux et les microbes, bactéries et virus, une relation au vivant et une circulation planétaire. Mais, ce qui est du jamais-vu, c’est d’abord l’explosion démographique mondiale, qui amplifie le phénomène à une échelle absolument inédite, y compris aujourd’hui, en soulignant le contraste entre l’ampleur du confinement et le nombre limité de morts ; c’est aussi l’accélération des communications au niveau de la planète et sa conséquence directe sur la transmission des agents pathogènes ; c’est encore l’information « en continu », les réseaux sociaux, la pandémie en direct avec la diffusion en temps quasi réel des informations et des polémiques ; pour résumer, c’est une mondialisation de masse des phénomènes épidémiques, tant pour ce qui est de leur diffusion effective que pour l’information relative à cette diffusion, laquelle est porteuse d’une charge émotionnelle inédite. » Une chronologie avec liens vers diverses sources dans Le Monde du 12 mai : Coronavirus : de la chauve-souris au déconfinement, la chronologie de la pandémie.

[1]Traduit curieusement par De l’inégalité parmi les sociétés, Gallimard, 2000. Le titre original signifie « Fusils, germes et acier. Le destin des sociétés humaines ». Les « germes » sont un des vecteurs du développement inégal des sociétés.

[2]Le cargo fait référence à la domination coloniale des Blancs et à tous les biens qu’ils ont apportés dans des navires, la « cargaison ». Le mot anglais cargo ne signifie pas navire mais charge, marchandise. Les germes en font aussi partie.

[3]Nous évoquons ici la contamination virale ou bactérienne. Nous avons déjà parlé de la « contamination culturelle » dans « Mondialisation, virus et anticorps », La Revue nouvelle, janvier 2016.

[4]Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (France).

[5]Les virus ne « vivent » pas vraiment, au sens courant de ce mot, dans la mesure où ils ne possèdent ni métabolisme propre (la respiration, par exemple), ni capacité de multiplication.

[6]Qui reprenait un propos du philosophe grec Démocrite : «  Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité ».

[7]Il s’agit plutôt d’une « contre-attaque » de la nature. Comme le dit Frédéric Keck après avoir cité René Dubos (« nature strikes back »), « L’émergence d’un virus de chauve-souris est une arme inventée par la nature pour répondre à la déforestation. « (Roger-Lacan, 2020).

[8]« Notre total irrespect pour la faune et la flore conduit à réunir dans des conditions sanitaires scandaleuses des animaux vivants qui en principe ne se côtoient pas », s’insurge Gilles Bœuf, professeur invité au Collège de France. « Pensez par exemple à ces marchés asiatiques comme celui de Wuhan, la métropole chinoise d’où serait partie la pandémie. On y croise des civettes, des serpents, des crocodiles, des cygnes, des ânes, des chiens et, sous le manteau, des espèces interdites de vente comme les pangolins, notamment », décrit, tout aussi exaspéré, Didier Sicard, membre du conseil d’administration de l’Institut Pasteur du Laos, pays où il a vécu pendant plusieurs années. Cette promiscuité marchande forcée facilite les échanges de gènes de virus entre voisins de cage et multiplie les dangers d’infection. » (dans Caramel , Baudet et Gourlay, « Coronavirus : sur la piste de la « pangolin connection », Le Monde, 20 avril 2020)

[9]« Dans un article publié fin 2019 dans Pangolins. Science, Society and Conservation (Elsevier, non traduit), Shuang Xing, de l’université de Hongkong, et ses coauteurs font remonter au VIsiècle la première référence aux propriétés médicinales de l’animal qui, à l’époque, auraient apaisé les piqûres de fourmi. Le mammifère rejoint la bibliothèque impériale de la médecine traditionnelle deux siècles plus tard pour ses capacités à stimuler la lactation, traiter l’infertilité ou fluidifier le sang. Ces attributs sont toujours présents dans la nomenclature officielle validée par Pékin, auxquels se sont ajoutés, parmi beaucoup d’autres, le traitement du cancer des ovaires et celui du sein, la lutte contre la maladie de Parkinson, l’anorexie et les hémorroïdes. Comment renoncer à des croyances transmises depuis si longtemps ? « Ces hypothèses sont grotesques, conteste avec virulence Gilles Bœuf. Comme les cornes de rhinocéros et nos propres ongles, il n’y a que de la kératine dans ces écailles» (dans Caramel, Baudet et Gourlay, ibidem)

Sources

L’écologie sur Routes et déroutes

Une anthropologue fauve, février 2020

L’arbre qui cache la forêt, novembre 2019

Hiver démographique au Japon, février 2019

Recension de Benoît Lechat, Écolo, la démocratie comme projet, juillet 2015

Bienvenue dans l’Anthropocène, octobre 2013

Recension de Philippe Descola, Par-delà nature et culture, août 2012

11 réflexions sur “Le point de vue du virus

  1. Le passage qui présente l’homme comme une sorte de virus, en est peut-être la réponse à la question de « l’l’intérêt » du virus à tuer son hôte. En grattant davantage, et si on se considère, nous humains, comme un virus et que la terre soit notre hôte, on voit que notre action n’est d’aucune manière mue par le soin de préserver la vie de l’hôte (la planète), mais tout au contraire à l’exploiter pour nos fins bien égoïste. Et évidemment, il faut distinguer l’homme du virus: ce premier déjà est capable de survivre sans détruire son hôte et ne pas l’exploiter à mort (heureusement, la terre semble pouvoir s’en sortir que nous y engraissons ou non) et surtout, doté de raison (théoriquement du moins) peut assez facilement corriger son comportement. Quant à virus, la chose semble plus simple, il n’a que sa « pulsion de vie »…

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    1. Merci pour cette réflexion bienvenue. Il est clair que l’intérêt dont je parle n’est nullement animiste ou téléologique, mais purement biologique. L’humain, bien entendu, a accès au langage symbolique (et pas seulement iconique ou indiciel), à la réflexivité et à la pensée, sans oublier l’écriture. Espérons que son attitude « virale » vis-à-vis de la planète et des autres occupants ne tue pas la poule aux oeufs d’or. Il me semble qu’il en devient conscient, et cette pandémie aidera peut-être à en réveiller certains (même si, à l’heure où j’écris ces lignes, ses dégâts en termes de victimes sanitaires sont sans commune mesure avec la peste noire ou la grippe espagnole – mais les conséquences économiques et sociales seront terribles). Il vaut la peine d’écouter la leçon d’Arnaud Fontanet au Collège de France sur le SRAS en 2019. Le lien est dans ma Biblio.

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  2. Merci, cher Bernard!

    Ces infos et réflexions sur la « bête immonde » qui nous confinent sont passionnantes. J’ai appris plein de choses de la réalité et les conséquences de cette réalité pour lespetits humains.

    Au grand plaisir de pouvoir parler de tout ça avec toi, quand…. ce sera possible, permis.

    Bonnes routes, avec le moins de « déroutes » possibles. Amitiés

    Henri

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  3. Merci, Bernard, pour cet article très documenté et éclairant.
    Oui, l’être humain est sans doute le pire virus de la planète. Il est plus que temps que nous l’admettions et que nous changions radicalement nos modes de vie. La question qui se pose aujourd’hui, c’est: l’homme est-il capable de se sauver? Les causes de la pandémie sont connues, les solutions aussi: respect de la biodiversité, fin de la déforestation, contrôle de la démographie, fin de l’urbanisation, etc. Mais l’être humain reste un animal étrange (et parfois trop prévisible).
    (J’en profite pour saluer Henri, s’il repasse par ici).
    Michel

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    1. La comparaison de l’homme avec le virus (Descola et le film Matrix cité par de Sutter en début d’article) vaut évidemment ce qu’elle vaut, même si elle est intéressante. Outre qu’il s’agit d’organismes totalement différents, il n’y a pas d’hôte de rechange vers lequel le virus humain puisse être expulsé par les symptômes du premier, sauf si on découpe la planète en morceaux (Matrix). On ne voit dès lors pas quel est son « avantage évolutif » dans le cas de l’épuisement de la planète entière. Citation de Matrix : « Vous vous installez dans un endroit et vous vous multipliez, vous vous multipliez, jusqu’à ce que toutes les ressources naturelles soient épuisées. La seule manière que vous ayez de survivre est de vous répandre vers un autre lieu. Il y a un autre type d’organisme sur cette planète qui adopte ce comportement. Savez-vous lequel ? Le virus. Les êtres humains sont une maladie, un cancer de cette planète. « 

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  4. Bonjour
    En lisant l’article (sans avoir lu les commentaires), je m’étais dit que le passage où est l’être humain est comparé au virus ferait mouche ! Effectivement ! Cela dit, BDB ne dit pas que c’est le pire virus de la planète.
    Amicalement
    Paul

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    1. Pour rendre à César ce qui lui appartient, c’est Descola qui fait cette comparaison sur France Culture. Un appel a par ailleurs été lancé au sujet de la menace virale qui pèse sur les Amérindiens d’Amazonie, menace qui fait écho à celle de la Conquista dont parle également Descola dans cette même émission. Un résumé par Pierre Haski sur France Inter ce matin, que j’ai replacé dans la bibliographie avec le lien.

      P.-S. du 21 mai 2020. Dans Le Monde, interview de Philippe Descola : « Nous sommes devenus des virus pour la planète ». Voir le lien en-dessous de l’article.

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  5. voila donc un passager clandestin suicidaire, ce qui me pose question , et je n ai pas trouvé de réponse dans ton article ! oserai-je mettre Darwin en doute ?
    Ca m a fait penser à un article sur des fourmis passagers clandestins, paresseuses, et ce à l’avantage de la fourmilière, ça ne donne pas la réponse à ma question, si ce n ‘est pour reconnaitre que tout est plus compliqué que ce que l’on croit !!
    https://www.seeker.com/lazy-ants-make-colonies-more-productive-2199658973.html?utm_source=email&utm_medium=social-media&utm_campaign=4490930

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    1. Je ne pense pas que le darwinisme implique que toutes les mutations soient gagnantes à terme. Des changements dans l’environnement peuvent tuer certaines espèces (l’histoire du vivant est jalonnée d’exemples). Par ailleurs l’infection et les réactions de l’hôte favorisent la propagation du virus ou de la bactérie. Dans le cas du SRAS-CoV-2, cela me semble assez évident !

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